AVERTISSEMENT
A la suite de l’un de mes reportages, « Haïti, plaque tournante de la drogue », publié dans l’hebdomadaire Le Point, les langues se sont déliées. Impossibles jusqu’alors, certaines rencontres ont pu avoir lieu.
Après de longs mois d’enquête, le temps est venu d’écrire ce livre. Pour essayer de comprendre, de démêler l’invraisemblable imbroglio haïtien et montrer en particulier le rôle éminent joué par les États‑Unis et la France, depuis la chute de Duvalier jusqu’au retour d’Aristide.
Cette initiative a d’abord été accueillie avec intérêt, même parfois avec enthousiasme par les principaux « acteurs » de cette histoire. Mais à mesure que l’enquête progressait, j’ai souvent découvert mauvaise volonté, mensonges et menaces. Ce qui m’a encouragé à persévérer et continuer mes recherches. Face à des événements de plus en plus complexes, j’ai demandé à un confrère de bien vouloir me rejoindre dans cette investigation. Laurent Lesage ne s’est jamais rendu sur l’île. Il avait les connaissances et, surtout, le recul nécessaires pour bien analyser mes informations. Ensemble, nous avons pu interpréter les faits et évaluer leurs conséquences.
Tous deux journalistes indépendants, nous collaborons à plusieurs médias, mais ne sommes attachés à aucune rédaction. L’expérience de la couverture des événements d’Europe de l’Est nous a confortés dans l’idée qu’il fallait constamment s’efforcer de lutter contre le manichéisme de la pensée pour approcher la vérité. Cette enquête nous a entraînés un peu plus loin que nous ne le pensions. Ce livre comporte plus de révélations que nous ne pouvions l’imaginer au départ. Nous sommes pourtant susceptibles d’en révéler plus encore sur les coulisses de cette période récente. Pour cela, d’ultimes vérifications s’imposent. Telle est notre conception du journalisme. Puissions‑nous toujours être préservés de devoir privilégier la vitesse d’exposition au détriment de l’exactitude des faits.
Nous ne sommes au service d’aucune cause, que ce soit sur le plan politique ou économique. Nous avons essayé d’écrire l’histoire d’une décennie (1985‑1995) telle que j’en ai été témoin pendant mes quinze longs séjours en Haïti. Sans aucun a priori. Avec le seul souci d’informer. Il y a, au détour de ces pages, des centaines de rencontres. La plupart se sont déroulées au cours des dix dernières années, non seulement en Haïti, mais aussi lors de nombreux séjours aux États‑Unis, ou encore à Paris. Peu d’interviews ont été réalisées à l’aide d’un magnétophone. Plutôt, autour d’un verre, lors d’un repas ou de conversations impromptues. Bien sûr, nous cherchions à provoquer des confidences. Il nous a fallu, je dois l’avouer, beaucoup de persévérance, de patience, de méfiance, d’intuition pour arriver à saisir les bonnes informations.
Dans ce but, nous avons été appelés à rencontrer des hommes politiques, mais aussi des mercenaires ou des trafiquants de drogue. Nous avons, également, côtoyé quelques agents des services secrets de plusieurs pays. Parfois malgré nous. Nous avons gardé à l’esprit que l’information ‑ et la désinformation ‑ est leur métier. Ces démarches expliquent que quelques faits énoncés sont rapportés au conditionnel. En revanche, les propos mentionnés entre guillemets ont été tenus lors d’entretiens enregistrés sur bande sonore, en mentionnant, quand il était possible, la date et le lieu. Cette notation, parfois répétitive, nous a paru nécessaire. Certains commentaires sont repris à des confrères et à diverses publications. Ces citations et déclarations leur appartiennent.
Nous avons essayé de retracer l’histoire d’une décennie troublée. Non pas pour juger mais pour informer sans biaiser, même si la réalité des choses, dans ce pays comme ailleurs, est parfois dérangeante. Toujours, nous nous sommes modestement efforcés de la donner, comme le préconisait Albert Londres ‑ fidèles au devoir de « ne pas écrire pour ou contre, mais de porter la plume dans la plaie ».
Nicolas Jallot,
Paris, octobre 1995.
AVANT‑PROPOS
Ce livre expose dix ans de l’histoire d’Haïti. De la fin du règne de Jean‑Claude Duvalier, Baby Doc, au terme du mandat du président Aristide.
C’est une histoire rocambolesque, pleine d’imprévus et de rebondissements. À rire et à pleurer. Comme toutes celles qu’aiment raconter, la mine théâtrale, les Haïtiens le soir entre deux verres de rhum‑punch.
C’est aussi un récit vrai, révélateur des enjeux politiques, de la passion des hommes pour le pouvoir, de leur vanité, de leur cruauté et de leur humanité parfois. Car s’il a pour cadre Haïti, l’un des pays les plus pauvres du monde, son histoire est universelle.
Elle nous a passionnés, nous incitant à pousser toujours plus loin l’investigation, à multiplier les enquêtes et les rencontres à Washington, Port‑au‑Prince, Miami et Paris.
Cette enquête met en scène un peuple au passé glorieux, fier de ses ancêtres héros de la lutte contre l’esclavage et fondateurs de la première république noire au monde, mais aujourd’hui misérable et peu alphabétisé. Une dynastie ‑ les Duvalier ‑, quelques grandes familles affairistes, des femmes ambitieuses avides de pouvoir suprême, des militaires qui s’adonnent à la contrebande, le trafic de drogue et l’espionnage, des miliciens sanguinaires qui terrorisent le peuple, des ministres qui complotent, des généraux putschistes, un clergé dont une frange lutte aux côtés des pauvres, tandis qu’une autre fréquente la jet‑set et s’oppose à un curé devenu président… Tels sont les personnages au coeur de l’imbroglio haïtien où s’entremêlent les intérêts des États‑Unis, de la France et du Vatican, et où le sort du peuple ne pèse pas grand‑chose…
Au final de sa très longue enquête, Nicolas Jallot a rencontré Jean‑Claude Duvalier, l’ancien président à vie d’Haïti, toujours en exil dans le sud de la France. Un témoignage essentiel et inédit, alors que depuis sa chute, il y a dix ans, l’homme se murait dans le silence.
Avant cette rencontre, nous ne savions pas encore quelles révélations le président Duvalier allait faire. Allait‑il dévoiler les mystères de son départ pour la France? Dénoncer ceux qui l’avaient trahi, escroqué ou reconnaître ses torts et s’en justifier auprès du peuple haïtien?
Indéniablement, cet homme surprend. Loin de son palais présidentiel et des fastes qu’on lui prêtait, Baby Doc s’est révélé un interlocuteur crédible, soucieux d’apporter sa part de vérité. Loin d’éluder ses erreurs politiques d’antan ‑ impardonnables et nombreuses ‑ et peu soucieux d’intellectualiser le débat, Jean‑Claude Duvalier s’est posé en témoin privilégié d’événements qui, jusqu’alors, gardaient leurs mystères, racontant simplement son histoire. Une histoire qui le dépasse visiblement.
Pas question pour lui de justifier des pratiques politiques d’un autre temps, ni même de récrire un grand dessein qu’il n’a jamais eu pour son pays. S’il a parlé, c’est toutefois pour qu’un jour ses descendants puissent découvrir les grandes étapes de sa vie dans un récit honnête, amputé de nombreux excès qui encombrent les écrits le concernant depuis sa chute.
En reconstituant le passé récent d’Haïti depuis l’ère Duvalier jusqu’à nos jours, nous avons pris le risque de nous confronter à l’enjeu d’événements encore proches, conscients que notre souci de vérité en blesserait certains, en gênerait d’autres. La plupart des acteurs de cette période mouvementée sont vivants et espèrent se maintenir, ou revenir au pouvoir.
Par mégalomanie, par naïveté, par sympathie ou par esprit de revanche, ils ont raconté leur version des faits, leurs stratégies, leurs espoirs. Ce fut alors à nous de démêler les fils de leurs récits croises pour essayer de révéler les méandres de la politique haïtienne. Dix ans d’histoire secrète.
Laurent Lesage.
WordPress:
J’aime chargement…
Articles similaires