La cité et ses élites. Modes de reconnaissance sociale etmentalité agonistique en Grèce archaïque et classiqueAlain Duplouy


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La cité et ses élites. Modes de reconnaissance sociale et
mentalité agonistique en Grèce archaïque et classique
Alain Duplouy
To cite this version:
Alain Duplouy. La cité et ses élites. Modes de reconnaissance sociale et mentalité agonistique en
Grèce archaïque et classique. H. Fernoux et Chr. Stein. Aristocratie antique : modèle et exemplarité
sociale, pp.57-77, 2007. ffhalshs-00583527ff
LA CITÉ ET SES ÉLITES : MODES DE RECONNAISSANCE
SOCIALE ET MENTALITÉ AGONISTIQUE
EN GRÈCE ARCHAÏQUE ET CLASSIQUE
La définition de l’aristocratie grecque archaïque et classique n’a jamais suscité
de débat passionné. Le concept faisant l’unanimité par sa simplicité apparente,
nombreux sont les historiens, les archéologues et les épigraphistes à mentionner
le rôle des aristocrates dans les cités grecques, à leur rapporter telle pratique ou à
expliquer tel processus historique par leur entremise. La facilité avec laquelle
nombre de chercheurs usent des mots « aristocratie », « Adel », « Oberschicht »,
« upper class » ou « élite », sans même parler de « noblesse », n’en finit pourtant
pas de masquer un réel problème de définition. Ces termes, tous connotés dans
nos langues modernes par plus d’un millénaire d’histoire médiévale et moderne,
ont en fait bien souvent déterminé a priori la conception des réalités antiques. En
1984 déjà, Benedetto Bravo nous mettait en garde : « on ne devrait pas, comme
on le fait d’habitude, parler des “nobles”, des “aristocrates” de la Grèce archaïque
sans indiquer ce qu’on entend par là, car la notion courante de noblesse, pour ce
qui concerne la Grèce archaïque, ne repose que sur un consensus superficiel, qui
est le produit, non pas d’une longue tradition de recherches critiques, mais
d’habitudes de pensée non réfléchies »1
. Rares sont en effet ceux qui se sont
attachés à cerner la nature exacte de ces élites et à comprendre les relations
qu’elles avaient tissées avec le reste de la société. Et de ce point de vue, les
antiquistes ne sont pas mieux lotis que les médiévistes2
. Pour éviter de souscrire à

  1. B. BRAVO, « Commerce et noblesse en Grèce archaïque. À propos d’un livre d’Alfonso Mele », DHA,
    10, 1984, p. 140.
  2. Ainsi que le fait remarquer K.F. WERNER, Naissance de la noblesse. L’essor des élites politiques en Europe,
    2e éd., Paris, 1998, p. 125-137.
    58 La cité et ses élites…
    ces automatismes conceptuels, il nous faut donc avant tout expliciter notre
    vocabulaire et sans cesse préciser les réalités historiques qui se cachent derrière
    les mots que nous utilisons.
    Une définition traditionnelle remise en question
    Si plusieurs études ont fait progresser la réflexion sur les élites des époques
    hellénistique et impériale1
    , la Grèce archaïque et classique, elle, n’a guère trouvé
    de place dans le débat sur la structure des élites anciennes. La cause était à vrai
    dire entendue depuis fort longtemps, tant « aristocratie » et « archaïsme » sont
    ancrés dans nos manières de penser la cité grecque.
    Dans l’ensemble, les spécialistes n’ont guère fait reposer le statut
    aristocratique que sur trois éléments : le pouvoir, la naissance et la richesse2
    .
    Ainsi définie, l’aristocratie grecque rassemblerait tous les individus qui occupent
    une position politique, sociale et économique dominante. L’aristocrate est donc
    un individu noble, qui doit son rang à l’hérédité ; dans les cités grecques
    archaïques, il est le détenteur de l’autorité et il bénéficie d’une aisance
    financière qui lui permet de mener une vie de luxe et de loisirs. Ces trois
    champs de définition de l’aristocratie – politique,gentilice et économique – ont
    toutefois connu au cours des dernières décennies de profonds réajustements qui
    ont démontré le caractère largement théorique de la définition traditionnelle.
    Pour nombre d’historiens, l’aristocratie grecque est d’abord un régime
    politique étroitement associé à la vie des cités archaïques.C’est là une conception
    qui trouve son origine chez les penseurs politiques grecs des Ve et IVe siècles.
    Pour Hérodote, Thucydide ou Aristote, les régimes politiques se classent en
    fonction du nombre de gouvernants et de l’attitude qu’ils adoptent à l’égard des
    gouvernés.Ainsi existait-il, selon eux, six régimes possibles : royauté et tyrannie
    lorsqu’un seul commande ; aristocratie et oligarchie lorsqu’un petit nombre a
    le pouvoir ; république et démocratie lorsque l’ensemble du corps civique
    dirige. Selon ces mêmes penseurs antiques, les cités grecques connurent toutes
    la même évolution politique : aux royautés mythiques succédèrent des
    aristocraties à la suite d’un acte révolutionnaire ; puis, lorsque les gouvernants
    se détournèrent du peuple et ne pensèrent plus qu’à leur propre intérêt, les
    aristocraties se transformèrent en oligarchies ; advint alors un tyran, qui par sa
    politique populiste et d’antagonisme vis-à-vis des aristocrates, prépara
    l’avènement de la démocratie, forme parfaite de constitution à laquelle était
    parvenue l’Athènes classique. Ce schéma téléologique domina toute la pensée
  3. Citons en particulier M. CÉBEILLAC-GERVASONI et L. LAMOINE (éds.), Les élites et leurs facettes : les élites
    locales dans le monde hellénistique et romain, Clermont-Ferrand, 2003 ; Autocélébration des élites locales dans le
    monde romain : contextes, images, textes, IIe s. av. J.-C. – IIIe s. ap. J.-C., Clermont-Ferrand, 2004.
  4. Ainsi notamment E. STEIN-HÖLKESKAMP, Adelskultur und Polisgesellschaft. Studien zur griechischen Adel in
    archaischer und klassischer Zeit, Stuttgart, 1989 ; G. NAGY, « Aristocrazia : caratteri e stili di vita », dans
    S. SETTIS (éd.), I Greci. Storia, Cultura,Arte, Società. 2. Una storia greca. 1. Formazione,Turin, 1996, p. 577-
    598.
    politique antique et moderne, de Polybe à Mogens Hansen, en passant par
    Montesquieu.Dépassant la pensée antique,les modernes s’empressèrent du reste
    de faire reposer le régime aristocratique des cités archaïques sur un groupe
    social particulier.Ainsi naissait la notion d’« aristocrates ». Depuis une vingtaine
    d’années pourtant, certains historiens commencent à dénoncer le caractère
    théorique, sinon artificiel, des distinctions naguère établies entre les divers
    régimes politiques, remettant en question par la même occasion nombre de
    certitudes anciennes1
    . Si l’on s’en tient à la terminologie employée pour
    désigner l’élite dirigeante des cités archaïques, on constate aujourd’hui que
    « tyrans », « rois », « oligarques » et « aristocrates » ne sont guère plus que des
    appellations théoriques nées d’impératifs de classement ultérieurs, mais ne
    correspondent à aucune position institutionnelle particulière. Au contraire, ces
    distinctions tendent désormais à laisser la place dans la recherche
    contemporaine à une unique catégorie d’individus entreprenants qui réussirent
    à se ménager une part de l’autorité politique dans leur cité. Qui plus est,
    l’existence d’une élite dans les régimes démocratiques, peu envisageable dans le
    cadre d’une définition strictement politique de l’aristocratie, a été clairement
    mise en évidence. Même si tous les citoyens avaient en principe les mêmes
    droits devant les tribunaux et les mêmes pouvoirs à l’Assemblée, il existait bel
    et bien dans l’Athènes classique des individus privilégiés dont la prééminence
    reposait sur l’éducation, sur la richesse ou sur la naissance2
    . Par la remise en
    question des catégories analytiques de la pensée antique, les études récentes sur
    l’histoire politique des cités grecques ont ainsi mis en garde les historiens contre
    les dangers d’une thématisation excessive.
    L’aristocratie archaïque fut également définie comme une noblesse de
    naissance.À l’exception de quelques rares réflexions chez Hippodamos de Milet,
    Platon et Arsitote, les Anciens n’ont pas développé de pensée sociale en relation
    avec la définition des différents régimes politiques. Les Modernes, en revanche,
    se sont d’emblée attachés à décrire ce qu’ils pensèrent être la structure portante
    de l’élite dirigeante des cités archaïques. « L’existence d’un ordre nobiliaire,
    séparé et spécifié », écrivait Louis Gernet, « est un fait essentiel de structure »3
    .
    Vue sous cet angle particulier, l’aristocratie grecque, simple forme de
    constitution pour les Anciens, se transforma rapidement dans l’historiographie
    contemporaine en ordre social fondé sur la naissance, dont la cellule de base fut
    le génos. C’est à Fustel de Coulanges et à Eduard Meyer que nous devons la
    théorisation d’une telle structure sociale4
    . Dès la fin du XIXe siècle, les
    aristocrates grecs furent donc assimilés aux patriciens romains ou à la noblesse
    Alain Duplouy 59
  5. Pour un bilan de ces études, A. DUPLOUY, « Pouvoir ou prestige ? Apports et limites de l’histoire
    politique à la définition des élites grecques », RBPh, 83, 2005, p. 5-23.
  6. J. OBER, Mass and Elite in Democratic Athens. Rhetoric, Ideology, and the Power of the People, Princeton, 1989.
  7. L. GERNET,« Les nobles dans la Grèce antique », dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968, p. 333-
    343 (citation, p. 337).
  8. N.D. FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, Paris, 1864 ; Ed. MEYER, Geschichte des Alterthums. Zweiter
    Band. Geschichte des Abendlandes bis auf die Perserkriege, Stuttgart, 1893, p. 291-320.
    60 La cité et ses élites…
    d’Ancien Régime. Le génos, ensemble de familles nobles, fut considéré comme
    cette structure familiale immuable,ayant permis à ses membres de préserver leur
    position éminente dans la société et d’assurer leurs droits jusqu’à l’avènement
    des démocraties. Les études de Félix Bourriot et de Denis Roussel ont
    néanmoins montré en 1976 le caractère strictement artificiel de ce modèle
    historiographique1
    . L’édifice social imaginé par les historiens de la seconde
    moitié du XIXe siècle et unanimement accepté au XXe siècle n’avait en tout état
    de cause jamais existé. Il n’existait en réalité en Grèce archaïque aucune
    structure familiale plus étendue que l’oikos – la famille restreinte – qui ait offert
    un quelconque soutien aux individus dans leur vie publique,qui les ait secondés
    dans leurs alliances ou qui leur ait porté main-forte dans leurs conflits. Il
    n’existait donc aucun obstacle gentilice à l’ascension d’hommes nouveaux, ni
    de garantie familiale contre une déchéance sociale. À l’opposition entre une
    aristocratie fermée de génnètes et un dèmos revendicateur, venait ainsi se
    substituer un champ ouvert de compétition entre tous ceux qui visaient le haut
    de la société. Le caractère essentiel de la lutte des classes, reconnue par les
    historiens marxistes comme l’un des moteurs de l’histoire antique, s’en trouvait
    ainsi sérieusement tempéré, au moins pour les périodes antérieures au IVe siècle,
    auxquelles on associe traditionnellement l’existence d’ordres sociaux
    antagonistes.
    Enfin, l’aristocratie fut souvent assimilée à une classe de nantis. L’aristocrate est
    bien entendu un homme riche. Par sa fortune, il peut s’offrir des biens rares et
    précieux et entretenir un genre de vie luxueux. La relation établie par les
    historiens entre le statut social et la possession de biens a pourtant
    considérablement évolué au cours des dernières décennies2
    . Aidés de divers
    modèles anthropologiques, les historiens de l’économie antique ont peu à peu
    inversé les perspectives. On se rend dès lors compte aujourd’hui que la
    thésaurisation et l’ostentation d’une richesse individuelle n’ont en fait jamais
    été valorisées en Grèce ancienne ; seule la redistribution d’une partie de ses
    biens offrait à l’individu une quelconque valorisation sociale.Autrement dit, les
    processus de circulation des richesses (comme le don, les liturgies ou
    l’évergétisme) entretiennent des rapports étroits avec l’établissement et
    l’entretien des hiérarchies sociales. Dans les cités archaïques et classiques, la
    richesse apparaît ainsi comme un instrument de la construction des statuts
    sociaux, bien avant peut-être d’en être le reflet mécanique.Le prestige engendré
    par certains usages valorisants de leurs biens permettait donc aux individus, en
    concurrence avec d’autres actions, de gagner ou de conforter leur position dans
    la société. Et si l’on affirme d’ordinaire, à la suite de Moses Finley, que le statut
  9. F. BOURRIOT, Recherches sur la nature du génos. Étude d’histoire sociale athénienne (périodes archaïque et
    classique), Lille, 1976 ; D. ROUSSEL, Tribu et Cité. Études sur les groupes sociaux dans les cités grecques aux
    époques archaïque et classique, Besançon, 1976.
  10. Pour un détail de ces études, A. DUPLOUY, « L’aristocratie et la circulation des richesses. Apport de
    l’histoire économique à la définition des élites grecques », RBPh, 80, 2002, p. 5-24.
    Alain Duplouy 61
    social des agents économiques eut des conséquences non négligeables sur la vie
    économique des cités grecques, on gagnerait sans doute à considérer que les
    mécanismes de circulation des richesses contribuèrent également à construire la
    hiérarchie sociale.
    En somme, les assises politiques, gentilices et économiques sur lesquelles les
    historiens ont fondé la définition de l’aristocratie grecque ont été sensiblement
    nuancées.Au fur et à mesure que l’on remet sur le métier les anciens modèles,
    que l’on envisage d’autres catégories de documents ou intègre de nouvelles
    problématiques, la définition traditionnelle de l’aristocratie grecque se révèle de
    moins en moins opératoire. Dans tous ces domaines, l’aristocrate grec apparaît
    désormais comme un individu à la position instable, sans cesse amené à
    entretenir son statut, à renégocier son autorité et à déployer les moyens
    financiers nécessaires à ses ambitions sociales. Il n’en devient que plus malaisé
    de continuer à parler des « aristocrates grecs » comme s’il s’agissait d’une
    catégorie sociale bien connue, sur laquelle il est possible de construire une
    réflexion historique.
    De la terminologie antique aux modes de reconnaissance sociale
    À vrai dire,aucun des termes que nous utilisons aujourd’hui en français pour
    désigner les « catégories sociales supérieures » – ainsi désignerait-on de la
    manière la plus neutre notre sujet de recherche – n’existait en Grèce ancienne.
    « Noblesse » et « élite » sont des termes dérivés du latin et pétris par la
    civilisation romaine, tandis qu’« aristocratie », contrairement aux apparences, ne
    fut jamais utilisé par les Grecs dans le sens d’élite dirigeante.Le terme aristocrateia
    s’est toujours appliqué à un régime politique, auquel les Anciens n’ont jamais
    associé un groupe social particulier. Quant à Aristocratès, c’était tout au plus un
    nom propre. Le danger est donc grand, avec les mots que nous utilisons, de
    projeter sur les réalités antiques des concepts fortement teintés par l’histoire
    romaine, médiévale ou moderne.
    La voie de la terminologie antique est-elle pour autant la solution à tous nos
    problèmes ? En 1981, Brigitte Schulz présentait une longue enquête sur les
    termes utilisés dans la littérature grecque, d’Homère à Aristote, pour désigner
    l’aristocratie grecque,exclusivement pensée selon les catégories aristotéliciennes
    et modernes. Elle introduisait son propos par ces mots : « Das Ziel der
    vorliegenden Untersuchung ist es, zu analysieren, wie die Griechen selbst die
    soziale Gruppe, die wir heute mit dem Begriff ‘Aristokratie’zu fassen suchen,im Laufe
    der historischen Entwicklung der Polisgesellschaft bezeichnet haben bzw. wie
    sie sich selbst bezeichnete »1
    . On comprend bien évidemment le caractère
    réducteur de pareille investigation terminologique, où les conclusions sont en
  11. B.J. SCHULZ, « Bezeichnungen und Selbstbezeichnungen der Aristokraten und Oligarchen in der
    griechischen Literatur von Homer bis Aristoteles », dans E.C. WELSKOPF (éd.), Soziale Typenbegriffe, III,
    Berlin, 1981, p. 67-155 (citation p. 67, c’est moi qui souligne).
    62 La cité et ses élites…
    réalité posées en prémices de l’enquête et où le choix des mots étudiés ne
    reflète au mieux que les préjugés modernes de l’auteur sur la nature de
    l’aristocratie antique. Qui plus est, l’anthropologie et la linguistique ont
    abondamment montré que les systèmes terminologiques ne peuvent en rien
    être tenus pour le reflet strict des structures sociales.Il ne suffit donc pas de lever
    le voile des mots pour découvrir les institutions anciennes ; n’étant qu’une
    réélaboration symbolique de la réalité sociale, le langage provoque d’inévitables
    effets de distorsion.
    Pris à la lettre, certains mots entretiennent d’ailleurs des images trompeuses
    de l’aristocratie grecque. C’est le cas du terme « Eupatrides », qui désigne
    traditionnellement l’élite athénienne. D’ordinaire perçu comme une caste
    nobiliaire, ce groupe a eu une influence prépondérante sur la genèse de la
    conception moderne de l’aristocratie grecque. Pourtant, loin d’être une
    institution de très haute antiquité, les Eupatrides ne semblent être apparus, si
    l’on s’en tient aux plus anciennes occurrences du terme, que vers la fin du
    VIe siècle dans un contexte politique particulier1
    . À ce moment et durant toute
    l’époque classique, le terme désigna exclusivement les adversaires de la tyrannie
    de Pisistrate et de ses fils. Se targant d’être de « nobles défenseurs de leur
    patrie », ces Athéniens et leur descendance tirèrent durant quelques générations
    une fierté particulière de leur action politique.Avec le temps cependant, par un
    processus de décontextualisation historique et de restriction sémantique, le
    terme en vint progressivement à perdre son sens politique spécifique, pour
    désigner tout individu bien né – ou prétendant à cette qualité généalogique –
    à Athènes d’abord, puis dans n’importe quelle cité de Grèce, avant de s’étendre
    au monde romain et de devenir l’équivalent du latin patricius. Certes, pour
    l’auteur de la Souda2 eujpatrivdai est un simple synonyme d’eujgenei§~, mais ce
    serait commettre une erreur de méthode que de plaquer les usages flottants et
    les significations sommaires de l’époque hellénistique ou des érudits byzantins
    sur les plus anciennes occurrences du terme.
    Que l’on accepte ou pas mon interprétation (et ma démarche), il n’est de
    toute façon pas raisonnable de faire reposer la structure sociale de toutes les cités
    grecques archaïques et classiques sur l’analyse d’un seul terme, de surcroît forgé
    pour la seule Athènes. Sans nécessairement la rejeter et quels qu’en soient les
    résultats, l’historien des sociétés ne saurait en effet restreindre une enquête sur
    les fondements des élites grecques à une approche sémantique du vocabulaire
    social. Il s’agit aussi de se tourner vers la pratique sociale.
    À la suite des travaux d’Oswyn Murray3
    , de nombreuses études se sont
    penchées ces dernières années sur le mode de vie des aristocrates.De la pratique
  12. A. DUPLOUY, « Les Eupatrides d’Athènes,“nobles défenseurs de leur patrie” », CCG, 14, 2003, p. 7-22.
    Voir également Th.J. FIGUEIRA,« The Ten Archontes of 579/8 at Athens », Hesperia, 53, 1984, p. 447-473.
  13. Souda s.v. eujpatrivdai : eujgenei§~
  14. O. MURRAY, La Grèce à l’époque archaïque. Early Greece,Toulouse, 1995, p. 215-234.
    du banquet à l’élevage de chevaux, en passant par le luxe vestimentaire,
    l’homosexualité masculine et la participation aux grands concours
    panhelléniques, c’est tout un univers de comportements et de représentations
    que tentent de restituer les historiens. Grâce à son aisance économique, l’élite
    grecque aurait essentiellement été une « aristocratie de loisirs », passant ses
    journées dans le luxe et l’atmosphère raffinée des banquets, dans l’excitation des
    concours athlétiques et des parties de chasse, dans l’enchantement des poètes et
    des musiciens de cours. Par leurs comportements, les aristocrates parvenaient
    ainsi à rappeler à l’ensemble de la communauté leur statut prééminent. La
    notion de « pratiques aristocratiques », simples emblèmes d’une catégorie
    sociale privilégiée, ne va toutefois pas sans poser quelques difficultés.
    L’expression a en effet l’inconvénient de laisser croire à l’existence d’une classe
    aristocratique bien définie, aux contours précis et évidents, dont il suffirait
    d’observer et de décrire les comportements. Outre le cercle vicieux dans lequel
    s’enferme la démarche, il n’existait en réalité en Grèce ancienne aucune
    pratique sociale réservée exclusivement à certains individus. À l’inverse de la
    noblesse française d’Ancien Régime, concevoir l’aristocratie grecque comme
    un groupe distinct d’autres corps sociaux inférieurs n’a en effet aucun sens. Les
    historiens du droit nous ont appris que les seuls « statuts sociaux garantis par la
    loi » ne furent jamais à Athènes que ceux de citoyen, de métèque et d’esclave,
    le premier étant de iure constitutif d’un ordre priviliégié par rapport aux deux
    autres1
    . Il ne s’agit donc pas de se ranger derrière le concept commode de status
    symbol, où l’historien déciderait des pratiques qui sont « aristocratiques » sans
    même s’interroger sur la nature et la constitution de cette aristocratie, ni sur les
    processus au terme desquels ses membres auraient réussi à se réserver
    l’exclusivité de ces pratiques.
    Le mode de vie des individus n’en fournit pas moins une piste de recherche
    stimulante. Celui-ci n’était-il que le reflet passif de la position occupée dans la
    hiérarchie sociale ? Ces comportements dits « aristocratiques » n’auraient-ils pas
    aussi contribué à la définition des rangs ? L’examen des sources antiques révèle
    en effet l’existence d’une multitude de pratiques sociales, apparemment
    ouvertes à tous, à travers lesquelles les individus manifestaient leur statut, mais
    surtout tentaient d’engranger un prestige reconnu par l’ensemble de la
    communauté. C’est ainsi que j’en suis progressivement venu à formuler la
    notion de modes de reconnaissance sociale et à aborder la problématique de la
    constitution des statuts sociaux sous un angle dynamique2
    . Le concept a de
    multiples avantages. Sa formulation, tout d’abord, ne fait référence à aucun
    Alain Duplouy 63
  15. P. CARTLEDGE, P. MILLET et S.C. TODD (éds.), Nomos : Essays in Athenian Law, Politics and Society,
    Cambridge, 1990 ;V. HUNTER et J. EDMONDSON (éds.), Law and Social Status in Classical Athens, Oxford,
    2000 et notamment, dans ce dernier, la contribution de V. HUNTER, « Introduction : Status Distinction
    in Athenian Law », p. 1-29.
  16. A. DUPLOUY, Le prestige des élites. Recherches sur les modes de reconnaissance sociale en Grèce entre les Xe et
    Ve siècles avant J.-C., Paris, 2006.
    64 La cité et ses élites…
    groupe social constitué, dont certaines pratiques seraient l’apanage. Le concept
    intègre par ailleurs une double dimension, à la fois passive et active, tantôt de
    démonstration tantôt de construction de la position sociale. Les modes de
    reconnaissance sociale sont toutes ces pratiques qui rendaient évident le rang
    des individus et qui, en même temps, contribuaient à l’acquisition du prestige
    nécessaire aux ambitions de chacun. Face aux difficultés éprouvées pour assurer
    en amont le statut aristocratique sur des critères gentilices, politiques ou
    économiques, il s’agit en somme de chercher dans le comportement des
    individus une manière de définir par la pratique sociale la position reconnue à
    chacun. À une conception essentialiste de l’aristocratie grecque, se substitue
    ainsi une définition comportementale des élites anciennes.
    Au cœur de cette hypothèse de travail réside un constat : comme l’attestent
    de nombreux textes antiques, le regard des autres et l’estime publique ou, à
    l’inverse, l’opprobre et la honte furent des préoccupations constantes pour les
    Grecs. Ces sentiments constituaient en réalité un mode d’évaluation permanent
    de la position sociale reconnue à chacun. En Grèce ancienne, le statut social ne
    sanctionnait pas seulement une position reçue à la naissance ; il devait surtout
    se gagner tout au long d’une vie par un investissement continu en temps et en
    moyens dans de multiples pratiques génératrices de prestige. Pour reprendre un
    vocabulaire bourdivin – qui n’est pas nécessairement anachronique –, tous les
    individus soucieux de conserver leur position sociale ou de gravir les échelons
    de la société pouvaient ainsi s’investir à profit dans des pratiques de distinction
    destinées à afficher ou à augmenter leur capital symbolique.
    Je ne prendrai ici qu’un exemple. L’Athénien Cimon offre en effet l’image
    d’un individu qui multiplia sa vie durant les stratégies de reconnaissance sociale,
    investissant tous les espaces, tous les instants et tous les champs sociaux pour
    construire et conforter sa position dans l’Athènes du Ve siècle.
    Un cas d’étude : Cimon l’Athénien
    Malgré son ascendance prestigieuse, il serait faux de penser que le fils de
    Miltiade le Jeune avait un destin tout tracé d’« aristocrate » et qu’il sut conserver
    son rang dans l’Athènes démocratique en mettant ses « qualités innées » au
    service de la cité1
    . À la mort de son père, Cimon était en effet loin d’être dans
    une position enviable et rien ne laissait augurer la carrière qu’il mena et le statut
    qu’il finit par occuper dans la cité.
    Né d’une mère étrangère – fût-elle princesse thrace –,Cimon avait été élevé
    en Chersonèse de Thrace. Il n’avait découvert Athènes qu’en 493, lorsque son
    père dut plier bagages devant l’avancée de la flotte perse. De retour en ville, ce
    dernier fut traîné devant les tribunaux. On l’accusait en effet d’avoir exercé la
  17. Telle est notamment la présentation du personnage chez E. STEIN-HÖLKESKAMP, Adelskultur und
    Polisgesellschaft, p. 212-223 (Aristokraten in der Demokratie).
    tyrannie en Chersonèse. Bien qu’il ait été acquitté à l’issue du procès, ce fut un
    motif d’accusation qui ne cessa de le poursuivre, lui et sa descendance. Élu
    stratège, Miltiade fut le principal artisan de la victoire de Marathon, mais l’éclat
    de son succès fut immédiatement terni par une sombre aventure. L’expédition
    qu’il entreprit peu après contre l’île de Paros tourna au désastre pour les
    Athéniens. Blessé au cours du siège de la ville, Miltiade fut traîné une seconde
    fois devant le tribunal populaire et accusé à son retour d’avoir trompé la
    confiance de ses concitoyens. L’affaire était menée par Xanthippe, le père de
    Périclès, qui avait épousé quelques années auparavant l’Alcméonide Agaristè.
    Pour services rendus à la patrie,Miltiade échappa de peu à la peine capitale,mais
    il fut condamné à une amende de cinquante talents – une somme colossale si
    l’on considère que le « cens » liturgique était au Ve siècle de trois ou quatre
    talents et que les grandes fortunes de l’Athènes classique ne dépassèrent jamais
    les soixante ou soixante-dix talents. Incapable de payer un tel montant, il
    mourut en prison en 489. Héritier de cette lourde amende et du déshonneur
    infligé à son père, Cimon dut rapidement réagir.
    Selon Hérodote (VI, 136), l’amende de Miltiade fut finalement payée par
    Cimon, mais l’historien omet d’expliquer comment le jeune homme put se
    procurer une somme dont son père ne disposait manifestement pas. Selon le
    scholiaste d’Aelius Aristide, qui cite Éphore, Cimon s’était acquitté de l’amende
    en épousant une femme riche (ghvmanta gunai§ka plousivan)
    1
    . Diodore (X, 30, 1)
    et Cornélius Népos (Cimon, 1, 1) précisent que pour récupérer le corps et
    donner une sépulture à son père,Cimon prit sur lui d’endurer la peine de prison
    tant qu’il ne se serait pas acquitté des cinquante talents. Diodore (X, 32) poursuit
    son récit par cette histoire.Vers le même moment, un homme fortuné (tino;~
    plousivou) à la recherche d’un gendre riche vint trouver Thémistocle. Ce dernier
    lui conseilla de ne pas chercher « l’argent sans l’homme, mais l’homme sans
    l’argent », autrement dit d’accorder plus d’importance à l’individu qu’à sa
    fortune. Ce faisant,Thémistocle l’engagea à donner sa fille en mariage à Cimon.
    C’est ainsi, conclut Diodore, que Cimon devint un homme riche et put sortir
    de prison. Cimon épousa donc en premières noces Kleitoria fille d’Aristokratès,
    petite-fille d’Oulios2
    . Malgré un nom prédestiné,Aristokratès n’a guère laissé de
    traces dans l’histoire de l’aristocratie athénienne.Il pourrait s’agir du symposiaste
    barbu nommé vers 490 sur une coupe du Peintre de Brygos3
    . Certes d’autres
    Aristokratès sont attestés au Ve siècle, mais celui-ci était manifestement connu à
    Athènes au début du siècle pour son faste. Il correspondrait en ce sens volontiers
    au portrait que dresse Éphore du beau-père de Cimon.
    Alain Duplouy 65
  18. SCHOL.AEL.ARIST., vol. III, p. 515 Dindorf [= Éphore (FGrHist 70) F 64].
  19. La politique matrimoniale de Cimon est un sujet particulièrement complexe, qui a suscité une
    abondante discussion dès l’Antiquité ; les sources principales sont PLUTARQUE, Cim., 16, 1 ; Per., 29, 2 ;
    IG II/III2 1388, 1400, 1447, 1451. Pour toute la discussion,A. DUPLOUY, Le prestige des élites, p. 94-108.
  20. Beazley ARV2 371, n° 24, Para 365 et 367, Add.2 225 ; D. WILLIAMS, CVA Grande Bretagne 17, British
    Museum, 9, 1993, n° 43, pl. 58-59.
    66 La cité et ses élites…
    L’amende de son gendre étant considérable,il n’est pas certain que la bourse
    d’Aristokratès, aussi importante fût-elle, suffit à payer la totalité de la somme.
    Une seconde histoire de mariage laisse penser que Cimon mit également à
    contribution sa sœur Elpinice. Selon Plutarque (Cimon, 4, 8), Callias, l’un des
    riches citoyens d’Athènes (tw§n eujpovrwn), s’éprit d’Elpinice et se déclara prêt à
    payer l’amende de Miltiade ; Elpinice accepta et Cimon la donna en mariage.
    Selon Cornélius Népos (Cimon, 1, 3-4), moins avare en détails, le même
    Callias, dont « la naissance ne valait pas les richesses » (non tam generosus quam
    pecuniosus), proposa à Cimon de s’acquitter de l’amende, en échange de quoi
    le fils de Miltiade lui accorderait la main de sa sœur. Cimon commença par
    repousser sa proposition, puis se laissa convaincre par Elpinice qui ne supportait
    pas de voir son frère mourir en prison.Tout se passe donc comme si Elpinice
    avait été « vendue » par son frère, échangée contre une somme d’argent dont
    Cimon avait cruellement besoin. En mariant sa sœur à Callias, Cimon gagnait
    du reste un allié prestigieux, car il n’est pas vrai que Callias fut de piètre
    ascendance. C’était au contraire le petit-fils d’un personnage fameux, Callias
    fils de Phainippos. Outre ses succès olympiques, son grand-père était en effet
    resté célèbre dans la mémoire de chaque Athénien pour son irréductible
    opposition à Pisistrate1
    . En plus d’une aide financière, Cimon gagnait donc par
    cette union la caution morale de l’héritier d’un adversaire notoire de la
    tyrannie athénienne. Ne doutons pas que ce rapprochement ait été fort utile à
    un homme qui tenta sa vie durant de réfuter toute affinité de sa famille avec
    la tyrannie. Pour sa part, Callias gagnait par cet accord la main de la fille du
    vainqueur de Marathon, ce qui n’était certainement pas une mauvaise
    opération pour un homme dont l’honorabilité était quelque peu assombrie par
    des activités dans les mines.
    Parce qu’il établit des liens entre deux individus et leurs familles respectives
    (oikoi), l’acte social par essence qu’est le mariage constitue un mode de
    reconnaissance et, dans bien des cas, de promotion sociale des plus évidents. Le
    plus souvent, l’épouse ne constitue guère plus qu’une valeur sociale, un « bien
    précieux » proposé par le père ou sollicité par le futur époux, permettant à l’un
    et l’autre partis de créer des liens de solidarité et de récolter une plus-value
    symbolique, tout en faisant connaître leur position sociale à l’ensemble de la
    communauté. Comme bien d’autres de ses contemporains, Cimon sut choisir
    un beau-père avec diligence et trouver pour sa sœur, dont il était le tuteur, un
    mari providentiel, capable de l’aider à faire face aux difficultés du moment.
    Une fois l’amende payée grâce à son mariage et à celui de sa sœur, Cimon
    ne s’en trouva pas pour autant dans une position plus favorable vis-à-vis de
    l’opinion publique. Aux dires de Plutarque (Cimon, 4, 4), le jeune homme
    commença en effet par avoir mauvaise réputation en ville, passant pour être
    indiscipliné et ivrogne. L’Athénien s’appliqua pourtant à redresser puis à asseoir
  21. HÉRODOTE, VI, 121-122.
    sa position ; ce fut au prix d’un investissement continu dans de multiples
    stratégies de reconnaissance sociale.
    Il ne s’agit pas ici de refaire la biographie de Cimon1
    , ni de détailler toute sa
    carrière, mais bien d’essayer de comprendre, à travers quelques comportements,
    les raisons de son ascension sociale et politique. Entre 478/7 et 462/1, avec
    diverses interruptions possibles, Cimon fut constamment réélu à la stratégie. En
    tant que commandant de l’armée athénienne, il fut dans une large part l’artisan
    de la politique impérialiste d’Athènes. De la conquête d’Eion à la soumission
    de Thasos, en passant par la bataille de l’Eurymédon, ses succès militaires furent
    innombrables et contribuèrent grandement à la mainmise d’Athènes sur la ligue
    de Délos et à son rayonnement à travers toute l’Égée. Il n’est guère nécessaire
    d’instister longuement sur le prestige que retire le chef d’armée victorieux
    auprès de ses concitoyens. Cette gloire militaire, Cimon sut encore l’accroître
    en localisant la dépouille de Thésée à Skyros et en chassant de l’île les pirates
    qui rendait la navigation dangereuse.Le stratège rapatria à Athènes les ossements
    du héros et fonda ainsi son culte, dont il fit l’expression symbolique de la
    politique hégémonique d’Athènes2
    .
    Grâce au butin fait sur l’ennemi, ses multiples campagnes militaires lui
    gagnèrent également une fortune considérable, qui dut rapidement trancher
    avec le relatif dénuement financier de sa jeunesse. Dans la mentalité grecque, il
    ne suffisait toutefois pas d’être riche pour se voir reconnaître un statut social
    prestigieux. Comme nous l’avons vu, seule la générosité des riches permettait à
    ceux-ci de présenter leur argent sous un jour favorable et de s’épargner ainsi le
    ressentiment de leurs concitoyens3
    . Et cela, Cimon l’avait parfaitement compris.
    Gorgias disait du stratège athénien qu’« il acquérait des richesses pour s’en servir
    et qu’il s’en servait pour être honoré »4 (Plutarque, Cimon, 10, 5). C’est ainsi,
    rapporte l’auteur de la Constitution d’Athènes (XXVII, 3), que Cimon s’acquittait
    magnifiquement des liturgies et qu’il entretenait beaucoup d’individus de son
    dème.Aucune de ses propriétés n’avait de clôture, afin que quiconque le voulait
    pût librement en cueillir les fruits.Théopompe (FGrHist 115 F 89) ajoute à cela
    que le stratège se faisait toujours accompagner de jeunes gens, qui glissaient
    quelques pièces de monnaie à celui qui, par manque, venait à sa rencontre. Et
    lorsqu’il voyait un citoyen mal vêtu, il l’engageait à échanger de vêtements avec
    l’un de ses compagnons. Cornélius Népos (Cimon, 4, 3) précise qu’il avait pris
    l’habitude d’accorder des funérailles dignes à ceux que la pauvreté avait réduits
    à l’indigence. Cette dernière pratique est l’interprétation la plus large qui soit
    Alain Duplouy 67
  22. De ce point de vue, toutes les sources sont examinées par H. SWOBODA, « Kimon » [2], RE XI/1, 1921,
    col. 438-453.
  23. Cf. D. VIVIERS, « Démocratie athénienne et symbolisme théséen », RPhA, 13, 1995, p. 67-80.
  24. Sur le pouvoir de l’argent, J.K. DAVIES, Wealth and the Power of Wealth in Classical Athens, Salem, 1981 ;
    J. OBER, Mass and Elite in Democratic Athens, p. 192-247.
  25. Sur les divers sens du jugement de Gorgias, D. MUSTI, « Il giudizio di Gorgia su Cimone in tema di
    XPHMATA », RFIC, 112, 1984, p. 129-153.
    68 La cité et ses élites…
    d’un mode de reconnaissance sociale relativement fréquent en Grèce ancienne.
    Celui-ci consiste pour des parents, des compagnons d’armes ou des amis à
    prendre en charge l’organisation des funérailles ou la réalisation du monument
    funéraire d’un proche défunt,auquel on rend ainsi hommage (géras thanontôn) tout
    en profitant de l’occasion pour occuper la place dans ce lieu de démonstration
    sociale qu’est par excellence la nécropole1
    . Enfin, Plutarque (Cimon, 13, 5-7) note
    que la vente des prises faites lors de la bataille de l’Eurymédon permit aux
    Athéniens de financer la construction du mur sud de l’Acropole, tandis que
    Cimon aurait contribué sur ses propres deniers à poser les fondations des Longs
    murs, sans compter les platanes qu’il fit planter sur l’agora et les espaces verts qu’il
    fit aménager du côté de l’Académie. « En raison de tous ces bienfaits » (ejk dh;
    touvtwn aJpavntwn), conclut Théopompe (loc. cit.), « il était honoré et était devenu
    le premier citoyen » (prwto~ t § wn polit § w§n). Nous avons là l’illustration du labeur
    continu de Cimon pour gagner l’estime de ses concitoyens et ainsi définir son
    statut social au sein de la communauté athénienne.
    Cimon ne s’arrêta pas là. Il s’attacha également à énoncer son ascendance,
    ou plutôt celle de son « ancêtre adoptif », Miltiade l’Ancien. Rappelons en effet
    que Miltiade le Jeune et son fils Cimon n’étaient apparentés à l’Œciste de
    Chersonèse que par les femmes – Cimon Coalémos, le père de Miltiade le
    Jeune, était un frère utérin de Miltiade l’Ancien (Hérodote, VI, 103). On
    s’accorde néanmoins à penser que c’est à l’initiative de Cimon que Phérécyde
    (FGrHist 3 F 2) exposa la descendance du héros Philaios2 : « Philaios fils d’Ajax
    s’établit à Athènes ; de lui, naquit Daiklos ; de lui, Épilykos ; de lui,Akestor ; de
    lui,Agénor ; de lui, Oulios ; de lui, Lykès ; de lui,Tophôn ; de lui, Laios ; de lui,
    Agamestor ; de lui,Teisandros ; de lui, Hippokleidès, sous l’archontat duquel, à
    Athènes, furent instituées les Panathénées ; de lui, Miltiade, qui colonisa la
    Chersonèse. » Ainsi fixée, la généalogie de Miltiade l’Ancien comprenait une
    série de personnages tous plus prestigieux les uns que les autres,auxquels il était
    intéressant d’être associé. Par exemple, le nom Épilykos devait évoquer la
    mémoire du fameux magistrat qui, d’après la Constitution d’Athènes (III, 5), avait
    donné son nom au siège du polémarque, l’Épilykeion. Relevons également les
    raisons idéologiques qui ont poussé Phérécyde à faire de Miltiade l’Ancien un
    fils d’Hippokleidès, alors qu’Hérodote (VI, 34) affirme qu’il était le fils d’un
    Cypsélos, lui-même probable petit-fils du tyran de Corinthe.Face à l’accusation
    de tyrannie qu’avait endurée Miltiade le Jeune en 493, la forte connotation
    tyrannique associée au nom même de Cypsélos était sans nul doute un élément
    qu’il valait mieux tenter de dissimuler. Offrir pour père à l’Œciste de
    Chersonèse son cousin germain Hippokleidès, l’archonte sous lequel furent
  26. Pour une mise en série de cette pratique,A. DUPLOUY, Le prestige des élites, p. 119-149.
  27. Parmi l’abondante bibliographie suscitée par ce passage, retenons G. HUXLEY, « The Date of Pherekydes
    of Athens », GRBS, 14, 1973, p. 137-143 ; D. VIVIERS, « Historiographie et propagande politique au
    Ve siècle a.n.è. : les Philaïdes et la Chersonèse de Thrace », RFIC, 115, 1987, p. 288-313 ; A. DUPLOUY,
    Le prestige des élites, p. 58-64 (où l’on trouvera tous les détails de l’analyse).
    instituées les Panathénées, mais également pour aïeul le propre père de ce
    dernier,Teisandros, assurait de bien meilleurs ancêtres et évitait des associations
    gênantes. Enfin, notons que la présence d’un Oulios dans la généalogie de
    Miltiade l’Ancien peut notamment s’expliquer comme un hommage rendu au
    père d’Aristokratès, juste retour des choses envers un homme qui avait offert à
    Cimon de payer l’amende du procès de 489 tout en lui cédant sa fille en
    mariage. Énoncer une ascendance était devenu dans l’Athènes du Ve siècle un
    mode de reconnaissance social particulièrement prisé, qui s’était développé en
    relation avec l’apparition de généalogistes professionnels. Comme d’autres
    exemples le montreraient aisément, l’objectif essentiel des généalogies n’était
    nullement de rendre compte du passé familial avec l’exactitude et la précision
    d’un registre d’état civil moderne. Elles résultaient essentiellement d’une
    volonté d’accumuler le renom du plus grand nombre possible d’ancêtres et
    d’endosser le prestige des exploits dont ils étaient l’auteur. Toute l’habilité de
    Cimon fut donc de récupérer à son avantage une lignée avec laquelle il
    n’entretenait, du strict point de vue familial – c’est-à-dire de l’oikos –, aucun
    lien et d’avoir su s’inscrire lui aussi comme héritier de Philaios. On voit ainsi
    combien la généalogie de Miltiade l’Ancien a pu s’imposer comme un
    instrument au service des intérêts de Cimon.
    Bien entendu, les critiques ne cessèrent pas à l’encontre d’un homme aussi
    en vue. Nos sources ont conservé diverses traditions hostiles. Périclès, son
    principal adversaire politique, semble être à l’origine d’une série d’attaques,
    directes ou indirectes, qui sont loin d’avoir été toutes très honorables. Diverses
    anecdotes stigmatisent par exemple la prétendue petite vertu d’Elpinice, la sœur
    de Cimon.Celle-ci aurait eu des relations incestueuses avec son frère ; elle aurait
    également eu une relation avec le peintre Polygnote de Thasos et n’aurait pas
    hésiter non plus à faire des avances répétées à Périclès.Vraies ou fausses, ces
    rumeurs circulaient dans l’opinion publique athénienne1
    . Plutarque (Cimon, 16,
    1) rapporte également que Périclès ne manquait jamais une occasion de se
    moquer (ojneidivzein) des enfants de Cimon en raison de leur mère (mhtrw§on
    gevno~).Il était facile en effet prendre pour motif de railleries le nom de l’épouse
    de Cimon, Kleitoria, qui prêtait facilement à des jeux de mots et à des
    plaisanteries salaces en relation avec l’organe féminin (kleitoriv~). Dans l’arène
    politique et sur la place publique, tous les coups étaient permis pour discréditer
    un adversaire. Parce que la position sociale et l’autorité morale de chacun en
    dépendaient, il était essentiel de contrôler l’opinion publique, d’assombrir ou
    d’illuminer l’image que l’on donnait des autres et de soi.
    Alain Duplouy 69
  28. PLUTARQUE, Cim., 4, 6 ; 14, 5 ; 15, 4 ; Per., 10, 5-6 ; 28, 6-7 ; ATHÉNÉE, XIII 589e. Déjà un ostrakon,
    témoin précieux de l’opinion publique athénienne des années 460, rapporte la rumeur ; cf. P. SIEWERT
    (éd.), Ostrakismos-Testimonien, I, Die Zeugnisse antiker Autoren, der Inschriften und Ostraka über das athenische
    Scherbengericht aus vorhellenistischer Zeit (487-322 v. Chr.), Stuttgart, 2002, p. 92-93 (T 1/67).
    70 La cité et ses élites…
    Les adversaires de Cimon continuèrent à s’acharner sur lui. En 463, au
    retour de la campagne conduite contre Thasos, le stratège fut poursuivi en
    justice, notamment par Périclès, pour avoir « manqué d’initiative ». Mal étayée
    et peu crédible alors que Cimon rentrait d’une campagne victorieuse,
    l’accusation n’aboutit pas et ses adversaires durent encore attendre quelques
    mois pour l’éliminer politiquement en le faisant ostraciser en 462/11
    . Cimon ne
    dut toutefois pas attendre la fin des dix années d’exil imposé pour rentrer dans
    sa patrie. Sous la pression populaire, Périclès, mis en difficulté à la suite de la
    campagne spartiate contre Tanagra (été 457), n’eut d’autre solution que de faire
    revenir Cimon, dont les bonnes relations avec Sparte aideraient à trouver un
    terrain d’entente. Cimon rentra donc à Athènes, probablement dès 457, grâce à
    un décret dont Périclès fut lui-même l’auteur2
    .
    Comme l’ont supposé Wade-Gery et Connor3
    , il est fort probable que
    l’accord conclu avec Périclès comporta également l’obligation pour Cimon de
    prendre une nouvelle épouse dans le « clan » alcméonide, son précédent
    mariage s’étant sans doute terminé par un divorce ou par la mort de Kleitoria.
    Pareille entente n’était pas une première dans l’histoire athénienne. Dèjà vers le
    milieu du VIe siècle, Mégaclès, marginalisé par ses alliés, n’avait trouvé d’autre
    solution que de faire revenir d’exil Pisistrate en lui offrant la main de sa fille,
    afin de regagner sa place dans la société athénienne4
    . De telles unions
    permettaient en effet aux deux partis en présence de lier leurs destins et de
    maintenir ainsi un statu quo bénéfique à tout le monde.Vaincu aux frontières de
    l’Attique par les Spartiates et mis en difficulté dans Athènes, Périclès fit donc
    revenir d’exil son ancien adversaire afin d’apaiser la clameur de l’Assemblée, à
    condition qu’il épouse l’Alcméonide Isodikè et qu’il n’intervienne plus dans les
    affaires intérieures. Si l’alliance entre Mégaclès et Pisistrate fut rapidement
    remise en question par le refus du tyran d’avoir des enfants de sa nouvelle
    épouse, Cimon se garda bien de commettre pareille erreur.
    Selon le scholiaste d’Aelius Aristide, qui tire ses informations d’Éphore,
    Cimon eut en tout six enfants : Éleios, Lakédaimonios, Thessalos, Miltiade,
    Cimon et Peisianax5
    . De ces six enfants, les deux premiers, en raison de leur âge,
    et probablement le troisième sont assurément nés de son mariage avec
    Kleitoria6
    . Peisianax est en revanche un nom alcméonide – c’est en particulier
  29. PLUTARQUE, Cim., 14 ; Per., 10 ; cf. H. SWOBODA, « Kimon » [2], RE XI/1, 1921, col. 447-449.
  30. PLUTARQUE, Per., 10, 4-5. La date du retour de Cimon à Athènes est discutée. H. SWOBODA, « Kimon »
    [2], RE XI/1, 1921, col. 449-450 et A.E. RAUBITSCHEK, « Kimons Zurückberufung », Historia, 3, 1954,
    p. 379-380 ont montré que le témoignage de Théopompe (FGrHist 115 F 88), qui place le retour de
    Cimon cinq ans après son ostracisme, n’a pas de raison d’être mis en doute.
  31. H.T. WADE-GERY, « The Question of Tribute in 449/8 B.C. », Hesperia, 14, 1945, p. 221 n. 21 ;
    W.R. CONNOR, « Two Notes on Cimon », TAPhA, 98, 1967, p. 71 ; Id., The New Politicians of FifthCentury Athens, Princeton, 1971, p. 58-62.
  32. Cf. HÉRODOTE, I, 60
  33. SCHOL.AEL.ARIST., vol. III, p. 515 Dindorf.
  34. Comme l’affirme Stésimbrote de Thasos et contrairement au témoignage de Diodore le Périégète
    (cf. PLUTARQUE, Cim., 16, 1). Sur cette question,A. DUPLOUY, Le prestige des élites, p. 104-106.
    celui du frère d’Isodikè1 – et il est vraisemblable qu’il s’agisse d’un enfant issu
    du second mariage, comme d’ailleurs Miltiade et Cimon. Le scholiaste d’Aelius
    Aristide souligne en effet la différence de consonnance, tantôt étrangère tantôt
    familiale, du nom des enfants de Cimon et il est fort possible que cette
    différence onomastique reflète une distinction entre les enfants des deux lits.
    Marié à Isodikè et ayant conclu un accord avec Périclès, Cimon s’attacha sans
    doute à mettre en valeur le passé familial.
    Privé d’un rôle central dans la politique athénienne désormais menée par
    Périclès, Cimon n’en continua pas moins à conforter son image. Par deux
    monuments érigés à Athènes et à Delphes, Cimon développa un vaste programme
    artistique au centre duquel se trouvait son père Miltiade le Jeune.C’est en effet très
    vraisembablement de cette époque que date la peinture de Marathon exécutée dans
    la stoa Poikilè, où Miltiade était représenté au premier plan en train d’exhorter les
    combattants2
    . Il faut dire que le bâtiment lui-même avait été érigé en marge de
    l’agora par les soins de Peisianax. C’est d’ailleurs sans doute pour rendre hommage
    à son beau-frère que Cimon donna ce nom à l’un des fils récemment nés d’Isodikè.
    Les deux hommes avaient en ce sens su profiter de l’alliance nouvellement scellée.
    En plus d’Athènes, Cimon chercha à célébrer la victoire de Marathon et le succès
    de son père auprès de la clientèle du sanctuaire de Delphes. Pausanias (X, 10, 1-2)
    rapporte avoir vu à Delphes un groupe statuaire,œuvre de Phidias,dédié « en guise
    de dîme sur le butin de Marathon ». Les historiens s’accordent depuis longtemps à
    y reconnaître la marque de la propagande cimonienne et à situer son édification
    dans les années de gloire de Cimon3
    . Comme le révèle la composition du groupe,
    l’offrande était tout entière à la gloire de Miltiade4
    . Après avoir célébré la
    descendance de Philaios en jouant sur des liens familiaux ténus avec l’Œciste
    Miltiade l’Ancien, Cimon mettait désormais à contribution son père, Miltiade le
    Jeune, et ses haut-faits. Assurément, la tâche n’était pas simple. Il fallait en effet
    compter avec une opinion publique athénienne qui, depuis Thémistocle, avait fait
    de Salamine un moment essentiel de la démocratie alors naissante, tout en
    réhabilitant la mémoire d’un homme mort sous le coup d’une condamnation
    populaire et d’une lourde amende.Il fallut certainement toute l’habileté de Cimon
    pour savoir donner à la bataille de Marathon et à la victoire de son père la place
    importante qu’elles reçurent désormais dans le discours civique,notamment dans les
    oraisons funèbres5
    . Cimon avait ainsi instrumentalisé la gloire acquise par son père
    à Marathon pour servir son propre prestige.
    Alain Duplouy 71
  35. J.K. DAVIES, Athenian Propertied Families. 600-300 B.C., Oxford, 1971, p. 377-378 (9688, VIII).
  36. PAUSANIAS, I, 15, 3 ; CORNÉLIUS NEPOS, Milt., 6 ; ESCHINE, Ctes. [III], 186.
  37. Autrement dit, avant son ostracisme, comme le pense R. KRUMEICH, Bildnisse griechischer Herrscher und
    Staatsmänner im 5.Jahrhundert v. Chr.,Munich, 1997, p. 99 ou bien, après son retour d’exil, comme le croit
    U. KRON, Die zehn attischen Phylenheroen. Geschichte, Mythos, Kult und Darstellung, Berlin, 1976, p. 218 et
    comme je serais moi-même enclin à le penser.
  38. P. VIDAL-NAQUET, « Une énigme à Delphes. À propos de la base de Marathon (Pausanias X, 10, 1-2) »,
    dans Le chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, 1981, p. 381-407.
  39. N. LORAUX, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la cité « classique », Paris, 1981, p. 157-173.
    72 La cité et ses élites…
    On voit en somme, par cet exemple célèbre, combien un statut social
    privilégié ne repose pas tant sur un héritage familial que sur un labeur constant,
    sur un investissement continu en temps et en moyens, pour construire puis
    conforter sa position dans l’opinion publique.
    La structure sociale des cités grecques
    La dynamique des modes de reconnaissance sociale et leur impact sur la
    position sociale des individus nous obligent à repenser la manière dont
    s’organisaient les sociétés grecques archaïques et classiques.
    Notons tout d’abord que la distinction ancienne et traditionnelle entre
    « faits de structure » et « faits de représentation » apparaît à bien des égards
    comme stérile et doit être dépassée. Pour nombre d’historiens de l’aristocratie,
    les multiples pratiques sociales auxquelles se livrent les individus découlent de
    l’état d’une société.Aussi y aurait-il une différence de nature entre les éléments
    censés structurer la communauté (en particulier le sang, le pouvoir et l’argent)
    et ceux qui en seraient tout au plus le reflet (le banquet, la chasse, le don,
    l’offrande…). À bien y regarder pourtant, les modes de reconnaissance sociale
    ne semblent pas être le produit d’une structure sociale particulière.Au contraire,
    ces pratiques contribuaient à donner à la société son caractère et sa structure.
    Aussi les « faits de représentation » apparaissent-ils souvent en Grèce ancienne
    comme les principaux « faits de structure ».
    La diversité des pratiques auxquelles eurent recours les Grecs est
    considérable. Selon l’époque et selon la cité, les modes de reconnaissance sociale
    privilégiés varièrent grandement en concernant à peu près tous les lieux et tous
    les instants de sociabilité. De la place publique au champ de bataille, du mariage
    aux funérailles, les pratiques de distinction mises en œuvre par les individus
    entreprenants investissaient une multitude de champs sociaux. L’étendue de la
    communauté prise à témoin – celle qui reconnaît à l’individu le statut auquel
    il prétend – varie du reste elle aussi, allant du voisinage à la sphère
    internationale1
    .
    Le renouvellement continu des modes de reconnaissance sociale et les
    transferts entre champs sociaux qui en résultèrent semblent avoir constitué deux
    constantes majeures dans le fonctionnement des sociétés grecques archaïques et
    classiques. Si, par mimétisme, un nombre croissant d’individus adopte les
    pratiques qui ont permis à d’autres de marquer leur rang, celles-ci perdent
    progressivement leur efficacité et en viennent à être dépréciées. En rivalisant
    d’originalité et en se dotant constamment de nouveaux instruments de prestige,
    les individus s’offraient en revanche la possibilité de maintenir à un haut niveau
  40. Sur cette question A. DUPLOUY, « Du voisinage à la sphère internationale. Cercles de collectivité et
    niveaux d’énonciation des modes de reconnaissance sociale dans l’Athènes classique », dans J.-
    Chr. COUVENHES et S. MILANEZI (éds.),Individus, groupes et politique à Athènes.Actes du colloque organisé
    à l’Université François Rabelais Tours (7-8 mars 2005),Tours, 2007, p. 35-55.
    le capital symbolique récolté et d’acquérir ainsi une certaine renommée.Tous
    ces changements n’impliquaient cependant pas, contrairement à une opinion
    répandue1
    , des bouleversements incessants dans la structure et le
    fonctionnement des sociétés grecques archaïques et classiques. La dynamique
    des modes de reconnaissance sociale était continue : sitôt un comportement
    disparaissait-il, sitôt était-il remplacé par un autre. Passant d’une pratique
    funéraire à l’énonciation d’une ascendance ou à la conclusion d’un mariage, les
    transferts entre champs d’investissement étaient constants. Cette réalité impose
    d’ailleurs à l’historien contemporain de diversifier ses domaines d’investigation
    et de prendre en compte tous les types de documents disponibles (des textes
    littéraires aux inscriptions, sans oublier la culture matérielle), s’il ne veut pas
    restituer des évolutions sociales trop tranchées – telles une « disparition de
    l’aristocratie » – qui n’ont pas de raison d’être.
    Cette dynamique des modes de reconnaissance sociale peut en revanche
    expliquer le renouvellement constant des catégories sociales supérieures auquel
    on assiste en Grèce archaïque et classique.L’idée que des familles ou des groupes
    traversent les âges et se maintiennent inchangés durant des siècles est en effet
    une conception largement théorique. Ce qui est vrai pour l’Europe médiévale
    et moderne2 l’est aussi pour l’Antiquité grecque. De fait, très rares sont les
    groupes dont l’action et l’influence sont attestées au-delà de quelques
    générations. Évoquant en arrière-plan le prologue des Histoires d’Hérodote (I,
    5), Aristote (Rhétorique, 1390b) notait : « la fertilité touche certaines lignées
    humaines, comme il en arrive des pays, et si la race est bonne, des hommes
    exceptionnels en naissent pour un temps, puis elles déclinent » ; et de donner
    pour exemples les descendants de Cimon, de Périclès et d’Alcibiade. Prenons
    Cimon justement. Le premier individu de sa lignée qui ait eu un quelconque
    relief est son grand père, Cimon Coalémos, vainqueur dans trois olympiades à
    la course de chars (sans doute en 536, 532 et 528),avant d’être assassiné par les
    fils de Pisistrate3
    . Quant aux fils du stratège de l’Eurymédon, conformément à
    l’opinion d’Aristote, ils ne brillèrent guère en politique.Trois générations tout
    au plus, soit moins d’un siècle, ont donc donné ses lettres de noblesse à cette
    lignée, car il ne s’agit pas d’y associer la longue généalogie dressée par
    Phérécyde, sinon à oublier qu’il n’y avait entre les deux qu’un rapport par les
    femmes. En réalité, les époques archaïque et classique ont connu en
    permanence la disparition de certaines lignées et l’émergence de nouveaux
    groupes, provoquant une recomposition sociale incessante de l’élite. Des
    témoignages comme ceux de Théognis ou du Vieil Oligarque ne sont donc à
    Alain Duplouy 73
  41. Contra p.ex. I. MORRIS, Burial and Ancient Society. The Rise of the Greek City-State, Cambridge, 1987,
    p. 151-154 (à propos de la raréfaction des marqueurs de tombes entre 750 et 700 et entre 500 et 430).
    Voir en particulier les remarques de Fr. DE POLIGNAC, « Entre les dieux et les morts. Statut individuel et
    rites collectifs dans la cité archaïque », dans R. HÄGG (éd.), The Role of Religion in the Early Greek Polis,
    Stockholm, 1996, p. 31-40.
  42. K.F.WERNER, Naissance de la noblesse, p. 127-131.
  43. HERODOTE, VI, 103.
    74 La cité et ses élites…
    cet égard nullement représentatifs d’une « aristocratie archaïque aux abois » ou
    « sur la défensive », mais bien le reflet d’une situation individuelle de désarroi1
    .
    Réciproquement, les cas d’hommes nouveaux furent monnaie courante : des
    individus sans passé prestigieux – ou bien, comme Cimon, dans une situation
    initiale difficile – gagnèrent parfois le sommet de la société grâce à divers modes
    de reconnaissance sociale. Prenons l’exemple de Thémistocle qui, aux dires
    d’Hérodote (VII, 143), n’était qu’un « homme nouvellement parvenu au rang des
    premiers citoyens » (ajnh;r ej~ prwvtou~ newsti; pariwvn).Selon Plutarque (Thémistocle,
    1,1),« son origine fut trop obscure pour avoir contribué à sa gloire » et « son père,
    Néoclès, ne faisait pas partie des hommes fort en vue (tw§n a[gan ejpifanw§n) à
    Athènes ». Si l’on en croit Thucydide (I, 138, 6), il rejoignit pourtant dans
    l’opinion publique le Spartiate Pausanias parmi les « Grecs les plus illustres de son
    temps » (lamprotavtou~ genomevnou~ tw§n kaq j eJautou;~ JEllhvnwn).
    D’après ces exemples s’esquisse un élément essentiel de la structure de
    certaines cités grecques, la forte mobilité sociale. Loin d’assigner à chacun une
    position définitive ou d’établir des barrières juridiques insurmontables entre
    diverses catégories sociales, les communautés grecques archaïques et classiques
    semblent avoir privilégié un laisser-faire, où chaque citoyen pouvait trouver sa
    place dans la hiérarchie humaine. Si naître dans une bonne famille apportait
    assurément quelque avantage, il faut reconnaître que c’était un héritage fait de
    potentialités, qui devaient être actualisées par un travail de tous les instants. À vrai
    dire, le rang de chacun dans la hiérarchie sociale se déterminait sans doute de
    manière très souple, en fonction des divers modes de reconnaissance sociale.Selon
    l’originalité et la diversité des stratégies mises en place par chaque individu,il était
    possible, en l’espace d’une ou deux générations, d’améliorer et de consolider une
    position sociale. Comme le montre très clairement l’exemple de Cimon, faire feu
    de tout bois,diversifier les modes de reconnaissance sociale et leur niveau d’action
    permettait d’optimiser le résultat global. Cet investissement de chacun dans de
    multiples stratégies de prestige déterminait ainsi autant de statuts relatifs (relative
    status) qu’il y avait d’individus sur l’échiquier social.
    La structure sociale des cités grecques archaïques et classiques apparaît en
    somme comme un continuum, fait de multiples statuts aux frontières mal définies
    et très perméables. Rares étaient ceux qui disposaient d’un capital symbolique
    exactement équivalent, accordé par le même cercle d’individus ou en fonction
    de pratiques identiques. Pour caractériser pareille structure sociale très ouverte,
    Moses Finley utilisait naguère l’image d’un « spectre de statuts »2
    , qui paraît
    particulièrement appropriée à décrire la nature des sociétés grecques antiques.
    Dans ces conditions, l’existence d’une ligne de partage nette entre une
  44. Contra e.a. G. NAGY, « Theognis and Megara :A Poet’s Vision of his City », dans Th.J. FIGUEIRA et G. NAGY
    (éds.),Theognis of Megara. Poetry and the Polis, Baltimore, 1985, p. 22-81.Voir plutôt H.VANWEES, « Megara’s
    Mafiosi. Timocracy and Violence in Theognis », dans R. BROCK et St. HODKINSON (éds.), Alternatives to
    Athens.Varieties of Political Organisation and Community in Ancient Greece, Oxford, 2000, p. 52-67.
  45. Plusieurs études, reprises dans M.I. FINLEY, Économie et société en Grèce ancienne, Paris, 1984, p. 145-218.
    aristocratie et le reste de la population devient très problématique, car il n’est
    guère possible de s’entendre sur une limite inférieure à laquelle s’arrêterait la
    composition de cet hypothétique groupe social. Les cités grecques archaïques et
    classiques n’ont jamais arrêté de critères stables et définitifs permettant de
    définir un quelconque groupe privilégié au sein de la communauté – si ce n’est
    bien entendu le corps civique dans son ensemble, seule véritable noblesse de
    naissance digne de ce nom dans l’Antiquité grecque, avec tout ce que cela
    implique comme droits et devoirs héréditaires. Tout au plus pouvons-nous
    constater l’existence de diverses élites (au sens le plus neutre du terme), aux
    contours flous et perméables, où la position de chaque individu dépendait avant
    tout de l’estime publique, celle que la communauté dans laquelle il s’inscrivait
    voulait bien lui reconnaître en relation avec ses comportements.
    Une culture de l’agôn et son régionalisme
    Le propre des héros d’Homère est d’affirmer leur supériorité sur leur
    adversaire ou du moins d’aspirer à celle-ci en toute occasion et en tout
    domaine. « Toujours être le meilleur et surpasser les autres », recommandait
    Hippoloque à son fils Glaucos (Il., VI 208), tout comme Pélée à Achille (Il., XI
    784). Énoncé dès les poèmes homériques, cet idéal n’en finit pas d’être mis en
    application par les Grecs, puisqu’il régit tous les comportements de distinction.
    La nature exacte de cette éthique de l’émulation, autant d’ailleurs que son
    influence sur le comportement des individus et sur l’échelle d’évaluation de la
    communauté, n’a toutefois pas reçu ces dernières années toute l’attention
    critique qu’elle méritait.
    Certes, aucune étude récente ne soutient sur ce point la comparaison avec
    l’analyse pénétrante que Jacob Burckhardt proposa à la fin du XIXe siècle dans
    sa Griechische Kulturgeschichte (1898-1902). La définition d’une mentalité
    agonistique constitue certainement l’un des apports majeurs de l’historien
    allemand à la compréhension de la civilisation grecque1
    . Il y voyait une
    expression spécifique de l’aristocratie archaïque,telle qu’elle était alors – et pour
    longtemps encore – pensée dans les études historiques. Selon Burckhardt, les
    nobles qui régnaient sur les cités grecques y trouvaient un élément de
    valorisation et leur vie entière fut modelée sur ce principe.Toute occasion était
    propice à entrer en compétition avec leurs pairs, avec pour seule récompense
    l’honneur et le prestige. Si un trait toutefois distinguait les âges récents de
    l’époque archaïque,c’était bien,selon Burckhardt,le recul de l’idéal agonistique.
    Avec l’instauration des régimes démocratiques, les couches sociales sur
    lesquelles reposait l’agôn dans toutes ses manifestations perdirent leur pouvoir et
    souvent même leur richesse. Plus aucune victoire au concours ne garantirait
    Alain Duplouy 75
  46. J. BURCKHARDT, Griechische Kulturgeschichte, t. IV, Berlin-Stuttgart, 1902, p. 61-168 et 213-219 ; trad.
    angl. The Greeks and Greek Civilization. Translated by Sheila Stern. Edited with an Introduction by
    Oswyn Murray, Londres, 1998, p. 160-213.
    76 La cité et ses élites…
    désormais la moindre influence dans la cité. Si ce n’est à l’occasion à Athènes
    dans la pratique des liturgies, l’idéal agonistique ne gouverna plus rien en Grèce
    et disparut bientôt. À l’invitation de Burckhardt, les historiens de la Grèce
    ancienne prirent donc l’habitude d’associer étroitement la mentalité agonistique
    à l’époque archaïque et à une catégorie sociale particulière. Ainsi défini, l’agôn
    constitua durant tout le XXe siècle l’un des axes majeurs de l’analyse des
    comportements de l’ « aristocratie archaïque »1
    .
    Tout se passe comme s’il y avait eu de la part des historiens une volonté
    tacite de faire reposer la mentalité agonistique sur cette prétendue « aristocratie
    archaïque ». Pourtant, les manifestations de cette éthique de vie particulière
    dépassent de loin les limites chronologiques fixées par Burckhardt2
    , autant
    d’ailleurs qu’elle se retrouve dans une très large frange de la population.
    N’oublions pas qu’en Grèce ancienne le statut social reposait essentiellement
    sur l’estime portée par la communauté à l’égard des individus entreprenants.
    Autrement dit, c’est toute une communauté qui partage ces valeurs de
    dépassement de soi et des autres.
    Cela étant dit, il convient peut-être de rappeler l’opinion naguère exprimée
    par Friedrich Nietzsche, dans un texte qu’il termina en décembre 1872, alors
    qu’il était jeune collègue et grand admirateur de Burckhardt à l’université de
    Bâle3
    . Bien qu’accordant la même importance à l’agôn en Grèce ancienne,
    Nietzsche n’en avait pas moins sur cette question une conception plus large que
    son aîné. Bien avant l’esquisse du Zarathoustra (1883), où le philosophe
    appliquerait à l’homme moderne et développerait considérablement cette
    vision du monde, le professeur de philologie classique énonçait dans quelques
    pages intitulées Homer’s Wettkampf sa conception de l’agôn antique.
    Contrairement à Burckhardt, Nietzsche tenait la joute pour « la plus noble et la
    plus fondamentale des idées grecques ». Loin de l’associer à une catégorie
    sociale particulière ou à une époque spécifique, il considérait au contraire la
    mentalité agonistique comme une expression de l’esprit grec dans toute son
    essence. C’était là une vision qui, à bien des égards, correspond à la dynamique
    des modes de reconnaissance sociale.
    Il ne s’agit toutefois pas de s’en tenir à cette idée. En l’occurrence, il ne
    convient guère de supposer chez tous les Grecs, à l’instar de Nietzsche, une
    propension presque compulsive à la compétition. Car si la mentalité agonistique
    n’a de limites ni sociales ni chronologiques, il ne s’agit sans doute pas pour
  47. Citons notamment E. STEIN-HÖLKESKAMP, Adelskultur und Polisgesellschaft, p. 104-122 ; O. MURRAY, La
    Grèce à l’époque archaïque, p. 215-234.
  48. Comme le rappelle notamment, dans ce volume, P. HAMON, « Des “aristocraties” grecques à l’époque
    hellénistique ? », p. 83, qui évoque « une donnée structurelle de la vie civique jusqu’à la fin de l’époque
    hellénistique ».
  49. Fr. NIETZSCHE, « Homer’s Wettkampf », dans G. COLLI et M. MONTINARI (éds.), Friedrich Nietzsche.
    Kritische Gesamtausgabe, III, 2, Nachgelassene Schriften 1870-1873, Berlin, 1973, p. 277-286 ; trad. franç. « La
    joute chez Homère », dans Friedrich Nietzsche. Œuvres philosophiques complètes. Écrits posthumes 1870-1873,
    Paris, 1975, p. 192-200.
    autant d’un universel culturel grec. En effet, la mécanique des modes de
    reconnaissance sociale n’est pas attestée dans toutes les cités. La mentalité
    agonistique, autant que les pratiques qui en sont l’expression et le dynamisme
    social qui en résulte,apparaît plutôt comme un trait culturel,certes très fréquent
    en Grèce ancienne, mais dont l’extension connut des variations régionales
    indéniables. La distribution géographique des stratégies sociales révèle en effet
    des attitudes distinctes vis-à-vis de la mentalité agonistique. Nous les retrouvons
    essentiellement en Attique, en Corinthie, en Argolide, dans les Cyclades et sur
    la côte d’Asie Mineure. Cette distribution régionale semble ainsi liée à un
    courant culturel « ionien » qui affectionne – ou du moins ne réfrène pas – les
    stratégies individuelles de valorisation sociale.
    S’il est permis de parler d’une culture grecque de l’agôn, il faut aussitôt
    rappeler que chaque cité se caractérise par une culture spécifique1 et que l’idéal
    agonistique n’est que l’un des multiples traits qui composent éventuellement
    celle-ci. Distinguer à l’échelle de la Grèce plusieurs régions cohérentes fut au
    cœur des travaux récents de Ian Morris. Prenant essentiellement appui sur la
    culture matérielle, l’historien identifie quatre régions, qui prirent forme vers le
    XIe siècle et préservèrent leur singularité au moins jusqu’à la fin de l’archaïsme2
    .
    Parmi celles-ci, Morris esquisse les contours d’une « Grèce centrale », qui
    correspond aux contrées bordant le bassin égéen : l’Ionie, les Cyclades, l’Eubée,
    l’Attique, la Corinthie et l’Argolide. À de rares exceptions près, c’est là l’aire
    géographique qui offre,aux époques archaïque et classique, le plus de traces de
    ces comportements de prestige. Aux critères essentiellement archéologiques
    retenus par Morris s’ajouterait donc un trait plus étroitement lié aux individus,
    à leur système de valeurs et d’action, qui viendrait renforcer la réalité et la
    cohérence de la région ainsi esquissée. La nécessité d’appréhender la mentalité
    agonistique comme un « trait culturel », plutôt que comme une « pensée de
    classe », contribuerait ainsi à l’élaboration d’une géographie culturelle de la
    Grèce. Ce n’est peut-être pas là le moindre des intérêts d’une recherche sur
    l’aristocratie que d’offrir in fine un prisme permettant d’appréhender la diversité
    des cités grecques. L’étude des élites ouvrirait ainsi, au-delà de l’histoire sociale,
    sur une histoire des identités.
    Alain DUPLOUY
    Alain Duplouy 77
  50. Sur la relation entre culture et cité, J.BOARDMAN,« Culture and the City », dans A.VERBANCK-PIERARD
    et D. VIVIERS (éds.), Culture et Cité. L’avènement d’Athènes à l’époque archaïque, Bruxelles, 1995, p. 1-14.
  51. I. MORRIS, « Homer and the Iron Age », dans I. MORRIS et B. POWEL (éds.),A New Companion to Homer,
    Leyden, 1997, p. 535-559 ; Id., « Archaeology and Archaic Greek History », dans N. FISCHER et H.VAN
    WEES (éds.), Archaic Greece : New Approaches and New Evidence, Londres, 1998, p. 1-92.

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