Soixante ans (60 ans) d’exclusion des mulâtres et des blancs du pouvoir politique en Haïti, quelles sont les conséquences de cette exclusion? Où en est on aujourd’hui?: Comprendre l’opportunisme pseudo révolutionnaire et pseudo progressiste en Haïti, le danger continue de nous guetter ( partie 3)


Le philosophe éveillé

Lorsque je considère mes différentes évolutions en Haïti et comme jeune haïtien à tous les points de vue, c’est-à-dire mon évolutions psychologique, mon évolution spirituelle, mon évolution intellectuelle et mon évolution idéologie et politique, je me dis souvent que j’aurais pu être quelqu’un d’autre, un bandit, un criminel, un assassin, un délinquant et quoi d’autre encore.

Pour cause, les schémas sociaux économiques d’Haïti, les rapports sociaux entre les riches et les pauvres dans le pays dont, le tout mélangé avec certaines arrogances, certains mépris, certaines opulences des classes et des groupuscules dominantes ont été déjà réunis à l’époque où je vivais au pays.

Comparativement à maintenant, où les choses sont beaucoup plus difficiles pour les groupes de jeunes qui vivent et qui grandissent dans le pays dont personne ne peut aider personne parce que la grande majorité des parents sont devenus vieux et sans salaire et sans aucune espérance pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Et actuellement, Haïti est un pays où tout est plus cher qu’auparavant, presque personne ne travaille ou n’espère trouver un travail tandis que les plus riches continuent d’accumuler leurs richesses sans aucun partage avec le reste de la population, les plus démunies du pays.

C’est aussi un pays où les arrogances des groupes de familles les plus riches dépassent l’entendement tant qu’ils ne cessent de provoquer les familles et les jeunes garçons et les jeunes filles les plus démunis du pays lorsqu’ils circulent dans leurs voitures les plus chères et les plus luxueuses importées dans le pays. Les familles les plus riches d’Haïti  méprisent et humilient à tous les jours les autres haïtiens malheureusement qui se trouvent à être des noirs.

En fait, à mon époque, toutes les conditions et les circonstances ne manquaient pas pour que je devienne cet être horrible ou monstrueux. Plus surprenant encore, j’aurais été très fier de moi et surtout de ma radicalisation extrême puisque, je me serais inventé des raisons et des convictions avec lesquelles j’aurais été en parfaite harmonie et en parfait accord. Je me serais donné les rôles de Justicier Haïtien, Le Robin des bois haïtien et quoi d’autre…,.

Je me serais donné des rôles et des légitimités engendrées par mes frustrations, mes déceptions, mes humiliations, et mes moments et mes situations de honte et de mépris. Donc des raisons qui n’auraient véritablement aucun lien avec le bien-être et le bonheur du peuple haïtien puisque au fonds, toute ma démarche, toutes mes actions, tous mes arguments auraient été développés par la haine, par mon égoïsme purement personnel.

En d’autre termes, et pourtant, j’aurais choisi de défendre les pauvres contre les riches, les personnes noires contre les mulâtres et les blancs d’Haïti, les paysans contre les grands propriétaires terriens, les petits commerçants contre les négociants et les grands distributeurs ou importateurs dans le seul but de me venger contre ceux qui m’auraient fait quelque chose de méchant, ceux qui m’auraient discriminé sur la seule base de ma couleur.

C’est là le véritable danger qui aurait inutilement menacé la sécurité de mon propre pays si j’étais devenu un criminel malgré toutes les justifications que je me serais données pour me venger en utilisant la politique comme instruments de cette vengeance mais surtout comme cheval de mes propres combats.

Bien entendu, Dieu merci que je ne me suis pas construite une telle vision du monde! Et personne ne peut me dire actuellement que j’aurais dû choisir cette voie très violente pour résoudre mes propres problèmes en utilisant mes propres humiliations pour soi-disant des problèmes globaux et collectifs du pays.

Évidemment, je ne dis pas que ceux-là qui pourraient prendre cette voie ne doivent ou ne devraient pas le faire si la situation économique et sociale du pays continue de se dégrader encore plus. Néanmoins, ce ne serait pas justifié de construire toute une lutte révolutionnaire sur la base de ses seules frustrations personnelles bien que dans les faits, n’importe quelle situation, n’importe quel évènement peut se transformer en mouvement déterminant d’un changement transformateur de n’importe quelle société dès que cette société souffre d’un problème profond.

D’ailleurs, actuellement, en Haïti nous sommes proche d’un très gros évènement, d’un très grand changement parce qu’il est insoutenable à très long terme si rien ne se fait pour améliorer le sort des plus démunis. Le peuple meurt de faim et de soif et ce sont les plus riches qui doivent commencer par débourser les fonds nécessaires.

Pousser le peuple à quitter le pays dans l’espoir de retarder les révoltes n’est pas une solution viable à long terme bien qu’elle soit apaisante maintenant. D’ailleurs c’était exactement ce que Jean-Claude Duvalier faisait lui aussi dans les années quatre vingt où des milliers d’haïtiens étaient obligés de quitter le pays par bateaux pour aller s’échouer sur les plages de la Floride, des Bahamas et dans les autres Antilles. Malheureusement, pour le dictateur et de tous les penseurs de ce plan macabre, en Février 1986, le régime en surface a été déchouqué par les forces vives du pays.

Comme je le dis ci haut, il y a une trentaine d’années de cela, certaines frustrations, certaines humiliations, certains rejets, certaines arrogances de quelques éléments de la bourgeoisie mulâtre traditionnelle et nouvelle d’Haïti auraient pu me pousser à choisir la voie de la violence.

Actuellement, la situation est beaucoup plus critique et plus alarmante que celle de mon époque. Surtout lorsque les dirigeants du pays sont capables de décaisser vingt sept millions de gourdes  dont un million de gourde pour chaque sénateur du pays pour la seule fête de pâques et plus de cinq cents milles gourdes pour chaque député soit un peu plus de 90 millions de gourdes pour les députés et les sénateurs.

Tandis que, rien ne peut être décaissé pour les jeunes du pays qui veulent partir en affaire, ou encore accéder à l’administration publique du pays. Ce sont des montants et des sommes astronomiques qui sont décaissées habituellement chaque année et surtout quatre fois à six fois par année.

Comment se fait-il que l’on arrive à avoir autant d’argents pour ces sénateurs et ces députés pendant que les membres de ce même gouvernement se plaignent de ne pas avoir des fonds pour améliorer le minimum vital pour le peuple comme une bonne eau potable, une ville propre et des parcs bien nettoyés?

Il faut bien admettre que même un enfant qui vient de naître pourrait comprendre qu’il s’agit de la plus violente de toutes les agressions que l’on peut commettre sur un être humain, ou un jeune haïtien. Ça doit prendre combien pour nettoyer le pays? Je présume moins que cela.

Et pourquoi la première grande ville du pays est si sale alors que de l’argent est donné comptant à des députés et à des sénateurs qui ont déjà un salaire qui leur est versé à tous les mois? Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas avec le gouvernement de jovenel Moïse et de son Premier Ministre Jacque-Guy Lafontant. C’est cela que dénonce Vincent Degere (représentant de la communauté européenne en Haïti) comme gaspillage et détournement des fonds publics en Haïti.

À présent, voyons quelques situations et de quelques exemples qui m’auraient faits basculer de celui que j’ai choisi de devenir aujourd’hui et, celui que j’aurais pu être ou devenir actuellement et qui n’aurait jamais choisi de quitter son propre pays parce qu’il n’aurait pas non plus vécu ou survécu trop longtemps, sauf une certaine exemption divine parce que tôt ou tard on finirait par m’exploser la cervelle autant j’aurais été sadique et extrêmement méchant dans et à travers mes gestes et mes actes.

En effet, je vous ramène au début des années 1990, plus précisément entre 1992 et 1993. J’étais étudiant en science économique à la faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince, et également étudiant en belles lettres à l’École Normale Supérieure de Port-au-Prince.

C’était une période malgré nos problèmes économiques et financiers, compte tenu de mes différentes réussites scolaires, j’étais très heureux car j’avais l’espoir que mes rêves étaient à portée de mains. Non seulement je croyais en moi mais également, à cause de mes implications sociales et politiques, j’étais sûr que j’avais les moyens à ma disposition pour pouvoir améliorer mon sort et celui de mes proches.

Grâce à mes efforts personnels et académiques tout me paraissait facile et se déroulait très bien dans ma vie. Évidemment, tout ceci c’était sans oublier les quelques petits projets d’étudiants et de jeune entrepreneur dont, celui de monter un cours de rattrapage et de mise à niveau pour les étudiants de première et de deuxième année. Ce cours a connu un franc succès et il permettait à tous mes condisciples et associés de se faire un certain salaire si je peux l’appeler ainsi.

Sur le plan politique on montait également des petits projets sociaux dans les quartiers pauvres comme par exemple, des séminaires de formation en leadership et d’organisation sociale qui expliquaient aux jeunes comment transformer un capital social en capital financier. C’est-à-dire, comment lorsqu’on est d’une famille modeste ou pauvre, et que l’on a pas le fameux capital initial qui permet de partir en affaire, d’arriver à monter des organisations sociales et communautaires pour la défense des droits humains et sociaux qui permettent de se faire un nom ou d’avoir des contacts pour se trouver un emploi ou un financement.

Autrement dit, sur le plan social et sur le plan politique, en tant que jeune universitaire tout allait bien dans ma vie et j’étais assez satisfait de l’ensemble des aspects de ma vie. Je vivais avec beaucoup d’espoir et rien ne semblait flotter comme un nuage de doute à l’horizon de ma vie future. Bref, je ne roulais pas sur l’or et je ne mangeais pas du caviar, mais les espoirs que mes études m’apportaient me permettaient d’envisager mon avenir avec confiance et sérénité.

Cependant, malgré tous les succès que je connaissais dans mes études et dans mes implications politiques et sociales, un après-midi comme tous les autres, j’étais au champs-de-mars là où habituellement j’étudiais à cause de l’éclairage de la place, étant donné qu’on ne donnais plus de l’électricité dans notre quartier tous les jeunes de mon époque étaient obligés de descendre au Champs-de-mars pour occuper les abords de la place Alexandre Pétion pour pouvoir étudier et faire leurs travaux scolaires sinon, c’était d’utiliser les petites lampes à kérosène qui nous faisaient inhaler tout le goudron et la fumée qu’elles dégageaient.

Or, tandis que nous étions en train de nous occuper de nos avenirs en faisant nos devoirs d’étudier, il y avait une voiture blanche, Toyota ou Mercedes Benz probablement qui est arrivée sur nous, plus précisément, le chauffeur avait choisi de monter un côté de son auto sur une très grande portion du trottoir juste devant nous alors que toute la rue était libre pour un stationnement normal. Non, le chauffeur avait décidé de rentrer son auto sur nous jusqu’à nous obliger de changer de place ou de nous sauver.

Devant cette expulsion de force, compte tenu que le chauffeur nous avait attaqué avec son auto, on s’est demandé qu’est-ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait puisque cela n’avait aucun sens qu’il ait préféré placer son auto juste devant nous alors qu’il y avait assez de place dans la rue pour se stationner.

Très calmement, on a attendu qu’il descende son auto pour aller lui parler et lui exiger son explication et les raisons pour lesquelles il avait choisi de venir placer son auto juste devant nous et, là où il y avait une dernière lampe électrique disponible.

Puisque c’était moi qui lui avais posé la question, l’individu s’est tourné vers moi en me demandant mon nom. Très naïvement, je lui ai donné mon nom. Cependant, avec le sourire aux lèvres, il m’a attribué le nom de Dessalines. Je lui ai dis non, je ne me nomme pas Dessalines, mon nom est Hermann! Il m’a dit, j’ai bien compris, mais je voulais dire ton véritable nom, c’est bien Dessalines non? Alors j’avais compris le lien qu’il établissait entre moi qui est une personne noire et le nom de Dessalines. C’est comme ça les mulâtres haïtiens nomment les noirs du pays lorsqu’ils veulent parler de nous autres les personnes noires du pays.

Tout à coup j’ai eu un sentiment de rage, de colère et surtout une envie profonde de foncer sur lui, de lui arracher les yeux et, de le découper en petits morceaux voire, manger sa propre chaire pour pouvoir me calmer et apaiser mon besoin immédiat. Je dois l’admettre, j’exagère un peu mon récit, je ne suis pas allé jusques là mais pour de vrai, j’avais envie de lui péter la gueule pour lui dire comment il pouvait être si idiot et surtout d’avoir et d,entretenir ces préjugés incrustés dans son esprit. Néanmoins, pendant que j’étais en train de me demander qu’est-ce que je devrais lui faire, j’ai aspiré une très grande bouffée d’air frais pour lui dire, avec un calme olympien, tu vas bouger ton auto delà et te disparaître devant ma face!

Encore une fois, et sans peser ses mots et les conséquences de celles-ci, hautement choquant et humiliant, le jeune mulâtre qui avait à peu près de mon âge, enfonçait encore ses doigts dans la plaie qu’il venait de créer en me disant une dernière fois, Dessalines, Boukman ou Makandal peut importe ton nom, n’oublie pas que tu es à la Place d’Alexandre Pétion.

Je me suis retourné vers mes amis, qui me demandaient qu’est-ce que je comptais faire car le petit mulâtre m’a véritablement rentré dedans. Je les ai dit, rien pour l’instant même si je venais de penser à plusieurs choses dans ma tête. Ils étaient tous choqués de ma décision de ne rien faire, de ne pas me venger. Je les ai dit, voilà la principale raison que nous sommes ici entrain d’étudier.

Lui, il va assister à son spectacle au local du cinéma Rex Théâtre et ce n’est peut-être plus important d’étudier, Nous devons les comprendre mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes. Nous devons les éduquer. Plus particulièrement, leurs enfants car celui-là est déjà perdu, on ne peut rien faire pour lui ou avec lui. Mes amis n’étaient pas d’accord avec ma position parce que ce qui leur paraissait raisonnable aurait dû être une action de ma part voire des injures sensés puisque l’individu m’avait manqué de respect.

Par ailleurs, même après que l’individu ait pu déplacer son auto pour la stationner complètement dans la rue, le fait qu’il avait laissé son auto tout proche de nous, mes amis se demandaient si on pouvait pas mettre le feu à son auto. Je les ai expliqué qu’il s’agirait d’une action isolée qui aurait très peu d’impact sur le comportement de tous les mulâtres et plus particulièrement sur l’éducation que leurs parents leur donnent.

Finalement, même si je n’étais pas très convainquant ce jour-là, j’admettais que je n’avais pas bien réagi face à la haine que le jeune mulâtre haïtien avait manifestée à mon endroit néanmoins, j’étais sûr d’une chose ce jour-là, je n’avais pas cédé à la tentation de me venger ni non plus à la colère et à la rage qui m’avait envahies contre ce jeune mulâtre.

Naturellement, je dois reconnaître également que j’étais moi-même étonné de ma propre réaction et de la manière que j’ai réglé le problème. Pourtant et malgré tout, au plus profond de moi-même je savais que j’avais changé depuis très longtemps puisque mes différentes démarches spirituelles avaient amené chez moi une certaine tempérance, un certain calme et surtout, une conscience plus large qui me permettait d’opérer certains grands changements dans mon attitude, dans mon comportement, et dans mes prises de position.

Par contre, mes amis n’avaient pas conscience de mes démarches spirituelles pas plus qu’ils étaient en mesure de constater les transformations qui s’opéraient dans tous les aspects de ma personnalité. Je n’avais donc pas cédé à mes pulsions de vengeance et du coup à la violence parce que j’étais différent du petit délinquant que j’étais étant plus jeune.

Le jeune Hermann, qui pariait son propre argent sur lui-même dans des combats violents de rue contre les autres jeunes de son âge, n’était plus pareil à celui qui devenait jeune universitaire et activiste politique. Il avait changé et il avait une conscience politique qui lui permettait d’envisager son implication politique sur une très longue période dont il essayait d’entrevoir par des stratégies diverses. Je suivais mon évolution selon certains critères de la pyramide de Maslow peut-être, mais une certaine évolution que j’avais tout le contrôle. Ou du moins, c’est ce que je croyais à cette époque-là.

Avec le temps, cette expérience m’a permise de mieux comprendre les conséquences de mes décisions ainsi que la portée de chacune de mes positions. J’étais toujours indépendant dans mes choix, toutefois, celle-ci comme bien d’autres expériences également m’ont permises de contrôler les influences externes que des amis pouvaient avoir sur mes propres choix et mes propres décisions.

En groupe et en bande on n’est plus soi-même dans la mesure que l’on se laisse mêler à la foule qui peut parfois être très violente et très impulsive quand vient le de réagir ou de se venger. Je me distancie de moi-même et de tous les autres alors même que je faisais partie des groupes ou que je impliquais sérieusement au sein des groupes.  Je crois sincèrement aux forces des groupes mais c’est fondamentalement lorsque les groupes et les foules ne sont pas criminelles. C’est-à-dire lorsque je peux prendre part aux grandes décisions que le groupe et la foule peut prendre.

De nos jours, où il y a une très grande crise de connaissance de soi et de conscience de soi, une époque où tout le monde a besoin du regard et de l’attention des autres pour exister, je suis mon propre chemin et de temps en temps je partage mes propres opinions sans penser à ce que pensent les autres. D’ailleurs, en tant que penseur qui pense par moi-même, je provoque, je questionne et surtout j’anticipe les problèmes futurs, je bouscule nos convictions, nos tabous, nos consensus, nos conventions car le propre de tout intellectuel c’est de fragiliser tous les fondements de nos conservatismes religieux, politique, social ou culturel afin de forcer les sociétés dans lesquelles ils vivent d’évoluer incessamment.

 Hermann Cebert