Homme fort du Zimbabwe depuis 1980, Robert Mugabe était un authentique héros africain. Il a contribué à libérer son peuple d’une puissance coloniale raciste, a bâti une des plus fortes économies du continent, avant de se transformer en despote et de détruire son propre héritage. Chronique d’une mort politique annoncée.
Un texte de Sophie Langlois: journaliste à radio canada.
Robert Mugabe avait juré de rester au pouvoir jusqu’à ses 100 ans. L’homme de 93 ans avait aussi affirmé que seul Dieu pouvait le destituer, puisque c’est Dieu qui lui avait donné le pouvoir.
Finalement, ce sont ses camarades d’armes qui auront eu raison du « vieux lion ». Des généraux ont pris le pouvoir dans la nuit de mardi à mercredi, menacés par l’ambition présidentielle de l’épouse de 52 ans de Mugabe, que les Zimbabwéens ont surnommée « Gucci Grace » en raison de son goût du luxe.
En 2009, une épidémie de choléra frappe le Zimbabwe : 80 000 personnes sont contaminées, les tablettes des épiceries sont vides, le pays est au bord du gouffre. Qu’à cela ne tienne, l’anniversaire du président Mugabe est souligné avec faste : 2000 bouteilles de champagne Moët et Chandon et Bolinger, 500 bouteilles de whisky, 8000 homards, 4000 portions de caviar, 3000 canards et 8000 boîtes de chocolat Ferrero roche d’or sont commandés pour fêter le président tout puissant. Le menu de la fête fait scandale, mais les Zimbabwéens blâment sa femme, Grace, et son entourage, décrits comme assoiffés de pouvoir et de privilèges.
Héros de l’indépendance
Dans ce pays magnifique, il est difficile d’égratigner l’image de cet ancien héros de l’indépendance. Encore aujourd’hui, les officiers qui ont pris le pouvoir par la force nient mener un coup d’État contre le président Mugabe, affirmant poursuivre les « criminels de son entourage ».
Robert Mugabe, un intellectuel marxiste-léniniste, détient sept diplômes, en anglais, en histoire, en économie notamment. Dans les années 1960, il abandonne l’enseignement et prend les armes pour lutter contre la ségrégation dans son pays, la Rhodésie du Sud, l’ancien nom du Zimbabwe. Il devient rapidement chef de la guérilla qui affronte le gouvernement blanc et répressif de Ian Smith.
Mugabe dira qu’il devient alors « diplômé en violence ». Emprisonné pendant 10 ans, il en profite pour étudier le droit et consolider son pouvoir sur le mouvement nationaliste. Quand il est libéré, en 1974, il prend la tête de la branche armée de son parti, le Zanu, et mène ses troupes à la victoire cinq ans plus tard. En mars 1980, son parti remporte les premières élections multiraciales du pays.

Robert Mugabe, premier ministre du Zimbabwe, en conférence de presse le 4 mars 1980 Photo : Getty Images/Keystone
Nelson Mandela citait souvent Robert Mugabe en exemple. Le héros sud-africain suivra, 14 ans plus tard, la voie tracée en 1980 par Mugabe, qui tend la main à ses anciens tortionnaires. « Vous étiez mes ennemis hier, vous êtes maintenant mes amis », dit alors le nouveau premier ministre Mugabe. Il offre des postes clés à des Blancs et demande au chef d’état-major des forces rhodésiennes de superviser la fusion de l’ancienne armée blanche avec la guérilla.
L’Occident salue sa décision d’autoriser l’ex-homme fort de la Rhodésie, Ian Smith, à rester dans le pays.
Pendant 10 ans, Mugabe fait faire des pas de géant au nouveau Zimbabwe. Il fait construire des écoles, des hôpitaux, des logements. Les Noirs ont désormais accès à l’éducation, aux soins de santé, et ils ont du travail. La construction de routes et d’infrastructures accélère le développement du pays.
Le Zimbabwe devient le grenier de l’Afrique australe, le premier producteur et exportateur de blé et de céréales.
De libérateur à dictateur
Parallèlement à ce développement spectaculaire, Mugabe étouffe l’opposition et bâtit son pouvoir en favorisant des hommes de son ethnie, les Shonas.
Dès 1982, il envoie l’armée écraser une manifestation dans la province du Matabeleland, terre des Ndebele et de son ancien allié pendant la guerre. Cette répression aurait fait 20 000 morts.
Les abus du libérateur devenu dictateur sont tolérés par les diplomaties occidentales, jusqu’à la réforme agraire des années 2000.
Affaibli politiquement, Mugabe décide de redistribuer aux Noirs les terres agricoles qui sont toujours entre les mains de la minorité blanche. L’opération, très contestée, se fait dans la violence.
Le président envoie d’anciens combattants de l’indépendance prendre de force les fermes que les propriétaires blancs refusent de quitter. Quelque 4000 des 4500 fermiers blancs fuient le pays. Des milliers de Noirs, souvent des proches du régime qui ne connaissent rien à l’agriculture, prennent possession des terres. C’est le début d’une terrible crise économique qui va faire sombrer le pays dans la misère.
En 2002, le président est réélu grâce à d’importantes fraudes électorales. Ses alliés occidentaux le lâchent, il est exclu du Commonwealth et perd plusieurs soutiens financiers. Il invoquera ces boycotts pour justifier les problèmes économiques du pays, niant l’impact désastreux de sa réforme agraire.
Le paradoxe africain
En 2008, coup de théâtre : Robert Mugabe perd le premier tour de l’élection présidentielle, au profit du chef de l’opposition, Morgan Tsvangirai. Le vieux combattant ne se laissera pas surprendre une deuxième fois.
Un policier près de boîtes de scrutin le 19 avril 2008 au Zimbabwe Photo : AFP/Getty Images/Desmond Kwande
Le deuxième tour est marqué par de graves violences, les partisans de l’opposition sont traqués, battus et emprisonnés. Tsangirai est forcé de se retirer, Mugabe l’emporte par défaut.
Le mois suivant, les chefs d’État africains réunis dans le cadre de l’Assemblée annuelle de l’Union africaine n’hésiteront pas à ovationner le président du Zimbabwe, qui vient de voler sa réélection. L’homme devenu un paria pour l’Occident demeure un héros pour les Africains. Encore aujourd’hui.
Les Zimbabwéens s’étaient résignés à attendre pacifiquement la mort de leur leader, même s’ils rêvent depuis longtemps à la fin d’un régime qui les étouffe. Ils avaient manifesté leur colère à l’été 2016, avant d’être violemment réprimés, encore une fois. Cet épisode avait fait apparaître une nouvelle brèche au sein du Zanu-PF.
Les ambitions présidentielles avouées de Grace Mugabe ont forcé les dirigeants du parti à bouger pour lui bloquer le chemin. Ce qu’on voit depuis mardi ressemble à l’aboutissement d’une guerre de clans qui déchire le parti au pouvoir. Ce n’est, sans doute, qu’un nouveau chapitre d’une longue histoire de conflits internes, qui perdurent depuis l’indépendance.
Robert Mugabe a pu tenir le couvercle sur la marmite de ces tensions, ethniques et claniques, grâce à son aura de héros historique, qui continue de lui conférer une influence exceptionnelle, partout sur le continent. Le coup d’État avait un message : cette aura ne pourra se transmettre à une femme qui n’a fait que cueillir les fruits d’un combat qu’elle n’a pas mené.
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