Pour la première fois depuis qu’il a quitté le pays en 1988, le général Henri Namphy, qui vit en République dominicaine, a accordé une longue entrevue au journal Listin Diario que nous reprenons intégralement.
L’ancien président d’Haïti, le lieutenant-général à la retraite Henri Namphy, dans un entretien accordé à Listin Diario, l’unique depuis qu’il a quitté ses fonctions en 1987, a admis qu’ « au cours de notre histoire, nous n’avons rien fait pour emprunter un nouveau chemin ». Il a notamment abordé des thèmes comme la migration, le principal obstacle entravant la remobilisation de l’armée d’Haïti, l’incapacité d’extraire son pays natal du marasme, sans compter sur une éducation de base et aussi la responsabilité des Haïtiens dans tous les problèmes auxquels fait face Haïti.
À 84 ans, l’ancien chef d’état-major des FAD’H, après 29 ans de résidence en République dominicaine, est parvenu à la conclusion qu’Haïti est un État failli, et que nous « les Haïtiens sommes les responsables ». Retour sur cette première interview accordée par le général Namphy au journal dominicain.
Comment évaluez-vous la situation actuelle en Haïti?
Cela fait 29 ans depuis que je vis en République dominicaine sans accorder d’interviews ni participer à la politique. Depuis tout ce temps, il devient très difficile de voir de loin, mais cela ne vous empêche pas d’évaluer en général la situation dans mon pays, comme Haïtien, je suis obligé de réfléchir et de chercher des solutions.
Dans les médias et à l’étranger on parle beaucoup d’Haïti, mais je vois que les opinions sont émises sans une vraie connaissance de la réalité haïtienne; une compréhension approfondie pour pouvoir rechercher des solutions à nos problèmes est nécessaire.
Le problème d’Haïti n’est pas essentiellement politique. Il réside dans l’éducation. Haïti a trois problèmes: éducation, éducation et éducation. Sans éducation, le citoyen n’existe pas, on ne peut pas parler de démocratie sans le citoyen. Mais il s’agit d’une question très complexe, car il est très difficile, cependant, de monter un programme éducatif qui mettra fin à l’analphabétisme.
Haïti est un pays avec une population rurale dispersée, il est donc très difficile d’éduquer les villageois.
Je ne doute pas qu’en Haïti, on travaille avec fermeté et volonté politique dans cette direction, que le pays sera organisé et développé.
Haïti est un État défaillant?
La plupart du temps, il n’y a pas de gouvernement, pas d’État, pas d’institutions pour former un État. On devrait créer des institutions fortes afin de penser à un État de droit. Les Haïtiens sont les premiers responsables de ce qui se passe en Haïti. Parfois, on parle de la communauté internationale, mais les Haïtiens sont les responsables de l’administration du pays. À plusieurs reprises, nous avons eu de bonnes occasions telles que le tremblement de terre du 12 janvier 2010, nous regrettons beaucoup les dégâts et les victimes, mais cet événement malheureux a été l’occasion de construire un nouveau pays.
Où est le problème en Haïti ?
En tant que militaire, j’étais commandant de toutes les régions du pays, y compris le commandant de la frontière. À ce moment-là, les problèmes ont été résolus entre les deux pays, à même la frontière. On ne peut pas résoudre les problèmes frontaliers en étant assis dans des bureaux, avec de l’air conditionné et la moquette. Comment demander à quelqu’un de résoudre ce genre de situation s’il ne connaît rien de la frontière. Constitutionnellement, l’armée existe, aucune règle ne peut aller à l’encontre de la Constitution. Ils sont en train de parler de remobilisation de l’armée, mais cela doit être bien pensé. Parce qu’il y a une réalité: Où va-t-on recruter les membres de cette armée? Dans la société haïtienne. Quand vous donnez à un jeune une formation militaire, ce garçon porte en lui le bien et le mal de la société ; sans la formation éducative nécessaire, nous sommes entravés parce que le personnel n’est pas digne d’être militaire, ni policier, et n’est bon à rien. De sorte qu’il n’est pas facile de le faire maintenant. Je suis d’accord, mais on doit bien analyser cette décision avant de la matérialiser.
Quelle est l’origine de la migration des Haïtiens sans papiers?
Cela réside dans l’asymétrie existant dans le développement entre les deux pays.
Il y a un autre facteur affectant les populations qui émigrent: la dégradation de l’environnement, la déforestation a détruit Haïti à cause de l’irresponsabilité des autorités.
Que se passera-t-il en Haïti avec le retrait de la MINUSTAH?
Haïti a toujours connu l’occupation étrangère. Mais lors de la première occupation de 1915, le gouvernement du président Louis Borno, comptant sur une solide équipe de négociation avec les occupants, a obtenu l’organisation des services publics dans le pays. Après le départ des troupes américaines, Haïti disposait d’une administration publique forte et utile. La seule chose que Borno n’a pas négocié, c’est l’éducation des Haïtiens. L’éducation doit être l’apanage des Haïtiens, ceci n’est pas négociable, a déclaré le président Borno. Encore aujourd’hui, le salut doit venir des Haïtiens d’abord, naturellement, avec l’aide de la communauté internationale.
Quelle autre situation empêche le développement d’Haïti?
Il y a près de 30 ans, en 1987, sous le règne du Conseil national du gouvernement (CNG), les constituants ont agi avec émotion et le sentiment partagé en grande partie par le peuple haïtien contre Duvalier. Une Constitution pour Haïti n’a pas été approuvée, sinon un costume taillé sur mesure contre les Duvalier.
Une société ne peut pas construire sa législation fondamentale basée sur l’émotion du moment, maintenant Haïti est en train de payer cher cette erreur. Par exemple, dans mon pays, il a été prouvé que l’organisation politique composée d’un Premier ministre et d’un président ne fonctionne pas, à cause des problèmes graves et urgents qui traînent depuis des décennies. Ainsi, un gouvernement à deux têtes fonctionne mal dans les pays développés comptant sur une plus grande force institutionnelle, imaginez dans mon pays ! Lorsque le président de l’Assemblée constituante, Emile Jonassaint, est allé à mon bureau au Palais national me donner le projet de loi adopté, je me suis dit : c’est le résultat du vote majoritaire de l’assemblée, moi en tant que citoyen, je ne vais pas voter oui au référendum, et ma réponse a été celle d’un citoyen.
Source Listin Diario
Traduction Patrick STPRE nouvelliste
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