Pourquoi, les professeurs de droit, les juristes internationalistes devraient-ils faire partie de la composition de la Cour de Cassation? :


Photo de Sonet Saint-Louis.

Je voudrais commencer ma présentation par l’étude de ce rapport entre les questions de fait et de droit qui me semblent importante pour aborder la fonction des juges de Cour de cassation.

Sans tenter d’analyser les positions exprimées par les magistrats réunis en syndicat et celles de certains avocats, tout en les prenant les uns et les autres au sérieux, je ne voulais pas analyser cette tension, ni prendre position en faveur des uns et des autres. Mais l’exigence de la vérité scientifique nous commande à présenter la réalité telle qu’elle est.

Cette tension est stérile et relève de d’une certaine cupidité dont l’objectif est de nous éloigner des préoccupations fondamentales et nationales. Contrairement aux opinions qui circulent, nous voulons situer le débat sur la Cour de Cassation au niveau des enjeux. Car, je refuse de tourner le débat autour des deux articles 15 du décret portant l’organisation judiciaire et 23 de la loi portant statut de la magistrature.
Cette incomplétude originelle de ces deux textes ne nous permettra pas de mesurer les enjeux d’un tel débat, et ni nous conduire à « des solutions de raison, au sens kantien du terme. Des solutions excellentes, indispensablement nécessaires, celles de changer l’entendement vers un but ». Solutions phares, et éclairées plutôt que la mesquinerie.

À mon avis, les enjeux autour de la future composition de notre Cour Suprême se situent entre la fonction de juger dans l’ordre interne et la nécessité de se moderniser pour se lancer dans une dynamique d’intégration, afin de comprendre les mouvements des droits qui se font à l’heure actuelle. Dans cette dynamique, il y a nécessité de moderniser notre droit et l’appareil judiciaire haïtien. Pour moderniser, et répondre aux défis du monde actuel, il faut procéder à l’inventaire des difficultés, en commençant par les faiblesses de notre système juridique, de l’administration de la justice, et en identifiant les ressources matérielles et humaines pour un bon nouveau départ, et surtout, dans un monde de plus en plus marqué par la perturbation du droit national au contact de l’universel et du global.

Cette nouvelle réalité nous oblige à transcender le droit, à revoir notre approche du droit, et à un autre enseignement du droit, car les droits aujourd’hui sont d’une tout autre nature. Donc, une nouvelle composition de la Cassation devrait s’adapter à cette réalité plurielle et évolutive, en tenant compte, d’autres espaces normatifs plus ou moins contraignant. Car, notre Cour a été conçue pour un droit essentiellement étatique. En effet, la mondialisation avec les échanges, s’accompagne des stratégies transnationales à caractère privé qui impacte le droit de l’État dont la Cour en assure l’unité territoriale. Or l’État, aujourd’hui se trouve concurrencé par des entités privées sur son propre territoire qui appellent au respect de leurs normes. Je pense tout bonnement aux fameux codes de conduite des multinationales en application dans les zones haïtiennes qui se substituent au droit du travail étatique.

Dans cette dynamique évolutive, la Cour de Cassation reste une institution à moderniser, et à construire, au regard des anticipations juridiques à venir. Il me semble que, c’est autour de ces enjeux que devraient amorcer les débats sur la futur composition de la Cour de Cassation.

Malheureusement, au sein de la communauté juridique, ce débat n’est pas suffisamment agité, et ces préoccupations ne sont pas soulevées. On constate au contraire que la réalité du débat est occultée , ou du moins, la même question est agitée selon les intérêts et les perspectives correspondant aux acteurs en place, en des lieux différents de cette réalité manipulée. En effet, loin d’introduire le désordre ou la polémique au sein de la communauté juridique nationale, j’en viens plutôt à ma démarche théorique originelle que la distinction des questions de droit et de fait permet de faire la démarcation entre les fonctions des juges de la Cour de Cassation et ceux des tribunaux et des Cours d’appel. Cette ligne de démarcation, à mon sens renvoie à une toute autre lecture de la fonction de la Cour de Cassation et de son rôle dans la société haïtienne.

La Cour de Cassation n’est pas juge de fait, mais de droit. Mais de droit s’agit-il?

La Cour de Cassation ne constitue pas, après les tribunaux et la Cour d’appel, un troisième degré de juridiction. Son rôle n’est pas de juger les affaires. Il est de dire, si les règles de droit ont été correctement constatées et appréciées par les tribunaux et les Cours d’appel. Elle ne se prononce pas sur les litiges, mais sur les décisions qui concernent les litiges, c’est -à -dire, le droit applicable aux faits litigieux.

L’encadrement juridique des faits me semble être le rôle principal des tribunaux et des Cours d’appel, en raison de leur fonction de juger et de trouver une réponse aux litiges qui leur est sont soumis. En fait, il y a une présomption en fait que les juges des Cours d’appel sont mieux en mesure d’examiner le litige que les premiers juges. Il en résulte qu’en pratique que la supériorité des questions de droit sur les questions de fait se manifeste dans les rapports entre les tribunaux, les Cours d’appel et la Cour de Cassation. Le rôle de la Cour va au delà de la fonction de juger. Elle a la fonction de légitimer l’œuvre législative ou la déclarer non conforme au regard du droit du souverain. Cette situation appelle une composition multidisciplinaire de la Cour de Cassation. Cette démarche, nous parait bien plus raisonnable, à moins qu’on considère la Cour comme un espace des interdits pour certains.

Le travail des tribunaux et des Cours d’appel s’articule entre le droit et le fait. Entre droit et fait, il y a rapport. Mais le droit présente une supériorité sur le fait. Le fait devient droit, quand seulement l’autorité législative en prend position.

Il est écrit dans nos lois: la Cour de Cassation ne connait pas du fond des affaires. Néanmoins en toutes matières que celles, soumises au jury, lorsque sur un secours, la cour de cassation admettant le pourvoi ne se prononcera pas le renvoi et statuera sur le fond, sections réunies. Dans les autres cas déterminés par la loi, la Cour de Cassation, admettant le recours, statuera sans renvoi.

Si on admet que la Cour de Cassation n’est pas juge de fait, on admet aussi qu’elle intervient exceptionnellement dans les questions de fait dans les cas déterminés par la loi. Alors, dans ce cas, la principale fonction de la Cour n’est pas de trancher les litiges. Je déduis que la fonction première de la Cour est de juger le droit de l’État. Cette mission attribuée à la Cour de Cassation la démarque totalement des tribunaux et les Cours d’appel. Donc, « autre fonction, autre mission, et autre compétence ».
Il en résulte que la Cour de Cassation a deux fonctions principales : 1) elle assure l’unité du droit de l’État 2) elle juge le droit posé par l’État au regard du droit du souverain, le pacte social républicain qui assure le trait d’union entre les citoyens. En ce sens, la Cour de Cassation joue le rôle de garant de la Constitution et de dépositaire des valeurs idéologiques, politiques, juridiques et culturelles de la nation. La fonction de juger de la Cour est mineure par rapport à ses ses responsabilités, en ce qui concerne le corps social et la stabilité de l’État.

Les fonctions idéologique, politique et juridique de la Cour sont guidées par la nécessité d’assurer la suprématie du pacte républicain sur le droit de l’État.

Dans le cadre de la démocratie représentative, la loi est toujours l’expression de la majorité à un moment de la durée. La minorité d’aujourd’hui peut devenir la minorité de demain et vice- versa. Dans ce jeu de pouvoir et de rapport de pouvoir, la loi de l’État est née d’un processus partisan, parce que le mécanisme de la fabrication du droit est hautement manipulé par les groupes dominants de la société.

La Cour, en tant garant du pacte social doit s’assurer que les législateurs et le pouvoir exécutif ne mettent en péril l’État et la Constitution.

De ce processus partisan et hautement manipulé par les entités puissantes de la société et les groupes d’intérêts, la Cour de Cassation doit examiner la conformité de la loi, par rapport au droit du souverain.

Selon la lecture positiviste, l’unité du droit est nécessaire à la sécurité juridique de l’État, et indispensable à une bonne administration de la justice. Il ne doit pas y avoir de flou et d’imprévisibilité dans le droit de l’État. « Le flou du droit est synonyme d’insécurité juridique ».
Même les décisions injustes de la Cour de Cassation doivent être admises et respectées, en vertu du principe que tout procès doit avoir une fin. La fin du procès est la fin du litige, même si cette fin est injuste.

En effet, si la Cour de Cassation ne pouvait pas assurer la conformité à la loi étatique, cela voudrait dire qu’il n’y avait personne pour garantir que les pouvoirs législatifs et exécutifs agissent dans le respect de la Constitution, donc qui garantirait que les pouvoirs exécutifs et législatifs respectent les droits fondamentaux des citoyens?

La Constitution est le pacte social républicain qui donne l’existence à l’État et sa mission. Aucun corps de l’État ne peut s’ériger en juge du droit du souverain. Le droit posé par l’État ne peut lui entre contraire selon la démarche positiviste.

Donc, si la Cour a cette difficile mission de juger le droit de l’État, elle doit disposer des ressources humaines hautement qualifiées, et matérielles de la même manière que le Parlement et le pouvoir exécutif. Je doute que ce soit le cas aujourd’hui.

Notre Cour Suprême est en panne d’inspiration. Elle a besoin d’être traversée par des courants modernes et progressistes, de retrouver dans son sein des magistrats, et des juristes compétents, des hommes, des femmes et des cadres techniques férus d’Internet et de technologies modernes.

La Cour est vide, ses structures de fonctionnement ne répondent pas à l’évolution et à la compréhension du droit dans notre monde contemporain. Le travail du droit est difficile, le droit est d’une tout autre nature. Le droit ne se comprend pas à travers le droit. De ce constat, nous pensons que l’approche multidisciplinaire est la meilleure méthodologie pour aborder la composition de la Cour de Cassation.

Je vais terminer avec ma présentation et j’en profite pour répondre à un problème constitutionnel qui concerne tout l’appareil judiciaire. Je dis au syndicat des magistrats qui évoquent la loi pour défendre leur droit d’aînesse, leur présomption de privilège et de préférence dans la composition de la Cour de Cassation, qu’ils sont tous malgré eux des usurpateurs de fonction. Car, dans l’état actuel des choses, pour repérer le Docteur Guerilus Fanfan, la justice n’est pas rendue au nom de la République, mais au nom de l’exécutif. Les juges de nos tribunaux et. Cours d’appel sont nommés, mais non élus par les assemblées du peuple. La brèche créée par le syndicat des magistrats me semble être sans lendemain. Car, les tensions inutiles provoquées par ce regroupement de magistrats, transposées sur le plan ethique devraient conduire à des contradictions juridiques profondes qui laisseraient entrevoir la non éligibilité de ces derniers à la fonction de magistrat à la Cour de Cassation.

Je termine pour dire que le vocable  » Association professionnelle des magistrats ou magistrat professionnel » est une aberration trop longtemps admise dans notre communauté juridique. Le juge est une fonction, ce n’est pas une profession. Le juge est un fonctionnaire de l’État qui donne un service public qui est la justice. On dit de préférence que le juge est un magistrat professionnel. Le magistrat est un professionnel du droit, au même titre que l’avocat. Il est un professionnel du droit, parce qu’il est censé connaitre tout le droit de l’État. Le magistrat a une fonction, qui est celle d’appliquer la loi. Pour appliquer la loi aux litiges, il doit connaitre tout le droit.

L’avocat a une fonction sociale qui est celle de dire la loi, telle qu’elle est, après les autorités qui la fabriquent. Les deux ont censé connaitre tout le droit posé par l’État. Les deux sont auxiliaires de la justice. Ni l’avocat, ni le juge n’incarne la justice. Ils sont tous des acteurs de la « scène judiciaire ».

L’avocat a deux fonctions dans la société: 1) une fonction conservatrice, qui l’oblige à répéter le droit tel qu’il est. 2) Une fonction transformatrice, qui le porte à transformer la société, et à prendre position contre l’arbitraire et la tyrannie des lois.

Dans ce sens, nous pensons que le Barreau de Port-au-Prince, et le bâtonnier , Me Stanley Gaston ont un elle majeur à jouer dans la transformation de notre société. Nous espérons que cette importante institution de la société civile ne marquera pas de jouer son rôle de vigie et d’éclaireur. Notre Cour est sur la voie d’un nouveau destin, à nous tous de l’assumer ensemble.

 Présentation faite par Me Sonet Saint-Louis, à l’occasion de l’ anniversaire du CSJP.
Conférences et débats conjointement organisés par les cabinets Guerilus Fanfan, Jorel hyppolite et Joseph Claudet Lamour.

Me Sonet Saint-Louis