
Mes chers amis.
Je vous devais une mise au point.
La voici:
TOUTE UNE CARRIÈRE POUR DES ERREURS DE JUGEMENT ?
Il y a une semaine, ma carrière a sombré dans la noirceur lorsqu’un article à charge dans un quotidien montréalais en a fait un portrait d’imposture. Depuis, j’ai fait les frais d’un véritable lynchage médiatique d’une violence inouïe. J’ai attendu une fenêtre d’apaisement avant de faire entendre ma voix. Ce que je fais maintenant, sur une tribune neutre, seul face à ma vérité et ma conscience.
(Par souci de transparence, je dois préciser que cette conversation a été proposée à deux animateurs chez mes anciens employeurs qui ont, très honorablement, voulu ne pas être juge et partie. Je comprends leur position et je la respecte).
Je mène depuis 23 ans une vie d’explorateur curieux du monde. Je me suis promené comme journaliste, défenseur des droits de l’homme, producteur télé, consultant, formateur, commentateur politique, évaluateur, conseiller et même, à certaines occasions, simple ami de gens dans des pays en détresse. 23 ans que je revendique un parcours atypique, porté par la même passion, la même curiosité envers l’autre. Cette vie dont je suis fier et qui doit aujourd’hui être expurgée de ces erreurs dont certains veulent se servir pour effacer tout le reste.
Car oui, erreurs de jugement, il y a eu. Expliquées par une obsession de capter l’intérêt du public québécois à des sujets qui lui paraissent très souvent lointains. J’ai romancé une histoire vue sur internet de l’exécution d’un ex-bourreau à Misrata pour rendre plus prenante une chronique. Je me suis approprié une histoire apprise sur Sarajevo que je trouvais bien révélatrice de l’ambiguïté de la guerre. J’ai prétendu une mission européenne en Égypte plutôt qu’admettre simplement avoir écourté mon séjour au Caire après avoir réalisé que mon offre de pigiste ne serait pas sollicitée par une quelconque rédaction: pêché d’orgueil. Ce sont des entorses au code du métier qui ne m’honorent pas. Je les regrette profondément. Je m’en excuse sincèrement auprès des collègues, du public et de mes amis. J’accepte la réprobation de la profession face aux gestes que j’admets, j’en tire les conséquences et je m’engage à rendre à la FPJQ la carte de presse qui m’avait été accordée.
J’ai été sidéré et bouleversé par le biais d’attaque choisi par l’auteure de l’article incriminant. Il a autorisé plusieurs à me condamner sur le champ. J’ai, un temps, envisagé de répondre ligne par ligne, exhiber quelques passeports confirmant (visas à l’appui) plusieurs des voyages effectués. J’ai voulu rappeler des missions effectuées au Pakistan, Afghanistan, Haïti ou ailleurs pour prouver que je n’étais pas le personnage de cocktails qu’a présenté un ancien responsable de RSF, etc. Mais à quoi bon ? Aucune réponse n’aurait été trouvée satisfaisante et suffisante. La journaliste affirme même retenir encore quatre ou cinq dossiers discutables. À la limite, ce sont des dizaines et dizaines de mes voyages que j’ai effectués sans caméra, à l’époque où le selfie n’existait pas, qui pourraient être questionnés. La perte de confiance a été solidement installée. Mon nom a été souillé sur toutes les plateformes. Personne ne s’embarrasse plus de précautions. Comme toujours, on assassine à la une, et on nuance le propos ou on réhabilite dans les pages intérieures les jours suivants. Je n’ai pas envie d’infliger aux miens et à mes amis d’autres journées de polémiques, doutes et lancées de boue au visage.
Le temps et la sérénité du débat n’étant pas réunis pour permettre à des témoins de se porter à ma défense, il m’est apparu vain de les convoquer. Imaginez : même ceux qui m’ont accompagné sur des terrains moins polémiques, avec des preuves visuelles, n’osent pas prendre la parole pour invalider cette image d’un personnage à la vie entièrement inventée que certains médias font de moi. Mon nom est devenu tellement toxique que se porter à sa défense s’apparenterait à se placer bras nus face à une meute lancée à grande vitesse. Rares sont ceux qui ont osé ce soutien. Le professionnel bafoué s’en désole ; l’humain que je suis comprend la crainte que suscite un tel acte de courage. Plusieurs m’ont écrit en privé pour reconnaître tout le travail accompli au fil des ans ; j’aurais aimé qu’ils le disent publiquement. Plusieurs journalistes m’ont joint, dans le passé, dans des hôtels aux quatre coins de la planète; leur témoignage aurait peut-être nuancé l’image faite de moi. Nombreux collègues (incluant l’auteure de l’article qui m’a fusillé) ont eu recours à mes contacts partout dans le monde ; ça aurait été utile de les entendre réfuter au moins la caricature faite de moi. Un jour, j’en suis convaincu, ils prendront la parole et rétabliront la vérité.
Puis, la mise en lumière de quelques éléments erronés contenus dans l’article de samedi dernier aurait requis que je piétine un autre principe sacré de la profession : la protection des sources. Permettez que j’honore ce devoir de mon métier. D’autant plus que le dévoilement de certains d’entre eux les placerait en situation de danger de vie. Je préfère encore subir le scepticisme et les injures du public, plutôt que porter la culpabilité d’avoir risqué la sécurité de ceux qui m’ont fait confiance. J’assume et je revendique donc aujourd’hui la part d’ombre qui entoure mon parcours. Elle est inhérente au statut de pigiste que j’ai choisi, aux multiples casquettes que j’ai portées et au désir de présence sur le terrain qui m’a animé.
Certaines âmes charitables ont pensé lire dans la charge médiatique qui m’a été servie une cabale de nature raciste ou alors une illustration d’une guerre entre deux groupes de presse. Il n’est pas question que je cautionne cette lecture. Les manquements sont miens. Les responsabilités sont entièrement miennes. En aucun temps mes collaborateurs y ont participé. Et la punition qui m’est infligée publiquement ne devrait surtout rejaillir ni sur eux, ni sur mes employeurs.
Je devais cette longue mise au point à ma famille et mes amis à qui je ne veux pas imposer une autre semaine de pression médiatique. Je le devais aussi à tout le public qui a été ébranlé par cette affaire (autant ceux qui m’ont accablé que ceux qui se sont gardés de me condamner) et qui a droit d’exiger une réponse de ma part. Je le devais enfin à une profession et à des collègues aujourd’hui injustement atteints par ricochet.
Je vais prendre un long recul pour réfléchir à mon futur. J’ai exercé la profession de travailleur de l’information avec passion, enthousiasme, générosité et ouverture. L’opprobre public qui m’est servi est, je l’espère, preuve de l’affection qui m’avait été accordée et non uniquement d’un plaisir machiavélique de lynchage. Quel que soit mon avenir professionnel, je ne perdrai pas ce bonheur de connaissance de l’autre et du monde. Qu’importe le chapeau que je porterai demain, je ne vous dis pas adieu, mais bien au revoir.
François Bugingo
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