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Décès de l’ancien Président haïtien Lesly Manigat
Le professeur, intellectuel et ancien président d’Haïti, Lesly Saint Roc François Manigat est décédé ce matin (vendredi 27 juin 2014), à l’âge de 83 ans, après une maladie courageusement supportée, a appris la rédaction de Vant Bèf Info.
Né le 16 août 1930, à Port-au-Prince (Haïti) et fondateur du Parti politique « le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes » (RDNP), Monsieur Manigat fut le 43e président de la République d’Haïti du 7 février 1988 au 20 juin 1988.
Politologue, enseignant, l’ex Président Manigat est l’auteur de plusieurs ouvrages.
En cette douloureuse circonstance, l’équipe de Vant Bèf Info présente ses sincères condoléances à son épouse Madame Mirlande Hyppolite Manigat, à sa famille, aux membres du RDNP et à toutes les personnes affectées par cette perte inestimable.
L’ancien président haïtien Leslie François Saint-Roc Manigat ( 07/02/88 – 20/06/88) est mort, tôt le 27 juin 2014, a appris Le Nouvelliste de sources proches de sa famille. « Il est mort dans son sommeil », a confié au journal Mirlande Hyppolite Manigat, sa femme. En larmes et visiblement très perturbée, celle qui a été son élève avant de devenir son épouse, puis son successeur à la tête du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP), parti politique fondé par Manigat, n’a pas pu en dire plus au journal vendredi matin.
Malade depuis un certain temps, diminué par le virus du chikungunya, cinquante et un jours avant ses 84 ans, Leslie Manigat s’est éteint entouré de ses proches en sa résidence de La Closerie des Palmiers, à Marin, en Plaine. Né à Port-au-Prince le 16 août 1930, élevé par sa mère veuve très tôt, entouré de deux sœurs et d’un frère issus d’une famille déchirée pour des raisons sociales, Manigat a eu une enfance contrastée entre l’abondance chez son père où la famille est riche et, certains jours, la misère chez sa mère, femme orgueilleuse qui refuse de taper aux portes de sa belle-famille.
Manigat, après avoir fréquenté les meilleures écoles de la capitale haïtienne, premier de classe pendant toute sa scolarité, part comme boursier pour la France en 1948. Leader naturel, il entame à son retour, cinq ans plus tard, une brillante carrière d’enseignant, d’historien et de fonctionnaire. Au début des années soixante, il se brouille avec le régime de François Duvalier et part en exil en 1963.
Manigat poursuit sa carrière sur tous les fronts dans les plus grandes universités. Après avoir commencé à l’Ecole normale et à l’Ecole des hautes études internationales en Haïti, il fait une remarquable carrière dans les universités américaines Johns-Hopkins et Yale, à Paris VIII (Vincennes), à Paris I (Panthéon-Sorbonne), au West Indies Universities à Trinidad, à l’Université de Caracas au Venezuela, à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut des hautes études internationales de Genève en Suisse, pour ne citer que ces institutions.
C’est au Venezuela qu’il fonde, à l’orée des années 80, le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP). Le parti sera l’instrument de sa conquête du pouvoir. Revenu en Haïti au printemps de 1986, après la chute de Jean-Claude Duvalier, Manigat retrouve ceux qui voient en lui le meilleur de leur génération. Il se remet en selle, continue ses recherches d’historien, publie une œuvre abondante et fait de la politique. Beaucoup de politique. Grand ami du journal Le Nouvelliste et de son directeur et rédacteur en chef de l’époque, Lucien Montas, Manigat reprend vite sa place dans le débat politique. Il utilise au mieux son arme de prédilection, l’écriture, pour partager ses idées.
Ses articles et notes de conjoncture sont des monuments de longueur et d’éloquence. Il analyse, déchiffre, propose. Leslie Manigat rencontre les militaires, les hommes d’affaires, rassure sur ses choix idéologiques, entretient des réseaux de supporteurs dans la diaspora et en Haïti, tient le RDNP de main de maître. Il fait de la politique. A l’ancienne.
Sur le terrain, la gauche multiforme séduit le plus grand nombre. Ses adversaires idéologiques occupent la presse électronique, les radios en particulier, pendant qu’il tire ses dernières cartouches. Un monde prend fin, les nouveaux politiciens haïtiens émergent. L’homme qui parle tout le temps rate déjà le virage communicationnel de l’après-Duvalier sans s’en rendre compte.
Le brillant professeur d’université ne revient pas dispenser ses cours dans les salles de classe où la nouvelle élite militante se forme dans le chaudron des années de l’après-Duvalier. Le premier de classe ne se met pas à la hauteur de ses possibles alliés.
Manigat est un solitaire, un diamant, un homme seul. Il ne fait pas d’alliance. Jamais, quand il reçoit des coups, il ne sera défendu par qui que ce soit de la classe politique. N’empêche, sa stratégie fonctionne. Il est élu président d’Haïti moins de deux ans après son retour au pays. Plus qu’une victoire aux urnes, ce sont les Forces armées d’Haïti (FADH) qui font choix de Manigat en janvier 1988 pour tenter de nettoyer le fiasco des premières compétitions électorales démocratiques tenues sous l’égide de la Constitution de 1987.
Leslie Manigat devient président de la République d’Haïti au terme d’une élection singulière, sans grande participation populaire. Il devient le premier président élu de l’après-dictature. L’entrée d’Haïti en démocratie commence mal, mais elle commence avec lui.
Comme il la nommera lui-même, sa « percée louverturienne » de professeur d’histoire pour accéder au pouvoir, en référence aux stratégies de Toussaint Louverture avant l’indépendance haïtienne de 1804 face aux puissances étrangères, n’a pas les effets escomptés. Le scrutin qui porte Leslie Manigat au pouvoir est contesté par une partie de la classe politique en réaction aux élections noyées dans le sang le 29 novembre 1987.
Une certaine presse le décrit comme « le président marionnette ». Sans appui au Parlement, où sa femme est sénateur, Manigat a du mal à mettre en œuvre la moindre réforme dans un pays rétif à passer aux ordres des autorités civiles après deux ans de pouvoir du général Henry Namphy.
L’administration publique est dominée par les suppôts de l’ancien régime macouto-militaire, l’opposition démocratique veut la perte de Manigat. Le nouveau président n’a aucun soutien. Son rapprochement avec le Venezuela, ses amitiés avec l’Internationale de la démocratie chrétienne, son empressement à se défaire de l’étreinte des militaires et une scission au sein de l’armée le fragilisent.
L’Armée débarque Manigat le 20 juin 1988. Il est embarqué, avec sa famille, dans un avion en partance pour la République dominicaine. C’est le retour en exil. Certains de ses ministres sont incarcérés. Elu dans l’indifférence, Manigat subit son coup d’Etat dans la totale indifférence de la population. La communauté internationale ne dit rien. L’épisode Manigat président se termine.
De 1988 à sa mort, toutes les tentatives de Leslie Manigat pour revenir au pouvoir resteront vaines. En 2006, il affronte René Préval pour le poste de président, mais décroche moins de 14% des votes. Mauvais joueur, il est aussi mauvais perdant. Sa femme, assurée d’un raz-de-marée pour devenir sénateur de l’Ouest, renonce par solidarité à sa défaite.
Manigat a des mots durs pour ce peuple sans mémoire qui jette son dévolu sur d’autres que lui et ceux de son camp. Le divorce est consommé. Après les militaires et les marxistes avec qui il a maille à partir, Manigat et le RDNP n’ont pas d’atomes crochus avec le courant Lavalas, à l’époque. René Préval remporte la présidence et gouverne sans faire d’ouverture à son concurrent direct.
En août 2007, Leslie Manigat abandonne la direction du RDNP. Sa femme, Mirlande Hyppolite Manigat, est désignée par les instances autorisées du parti pour en devenir le secrétaire général. C’est une longue carrière de politicien qui s’achève pour celui qui s’est toujours cru de la race des élus pour servir Haïti.
Leslie Manigat quitte la politique active sans avoir rencontré la légitimité populaire. On respecte le professeur, on admire l’érudit, mais on ne l’aime pas. On le craint. On l’envie. Dans un pays où le cœur décide plus souvent que la raison, Manigat rate l’examen politique pour avoir mal négocié le tournant du siècle dans un pays qui change et continue de s’éloigner de l’idéal d’homme de bien qu’il personnifie. Dans la liste de ses ennemis politiques, Leslie Manigat identifie, sans ordre précis, les marxistes, la communauté internationale et les médiocres. « Vous savez, je n’ai jamais été communiste.
Certains m’ont voulu presque à mort de ne pas être communiste », dira-t-il. De la communauté internationale qui ne comprend pas le pays, sa sentence fuse : « Haïti, ce n’est pas seulement une grande histoire de la Révolution, c’est un phénomène extraordinaire de la vigueur de l’esprit. On ne comprend pas Haïti. Et c’est pourquoi l’international fait des erreurs en nous assimilant à des expériences ordinaires».
Pour ce qu’il s’agit des médiocres, il est sans appel : « Je ne condamne pas quelqu’un qui est médiocre, c’est la majorité que je condamnerais, mais je dis qu’il ne faut pas que la médiocrité donne le ton dans ce pays. Il ne faut pas que c’est parce qu’on est médiocre qu’on s’agglutine, qu’on fait front de manière à empêcher à la qualité de triompher», dira-t-il au magazine Ticket. Bon vivant, gourmand, gourmet, charmeur, amoureux de lui-même et de sa science, curieux des choses de la vie, attentif aux palpitations du monde et de la cité, dans une rare interview intimiste accordée au magazine Ticket,
Leslie Manigat s’est dévoilé comme jamais. Ticket titra : « J’avoue avoir vécu » avec une photo pleine page en une de l’invité d’honneur de l’édition de 2004 de Livres en folie. Leslie Manigat fera deux mariages et aura six filles. Homme à femmes, il confessera à Ticket : « Je connais un homme qui n’a expérimenté toute sa vie que le mariage avec son épouse jusqu’à l’heure actuelle. Et vous savez, je l’admire. Je ne suis pas sûr de l’envier, mais je l’admire. Mais, pour moi, ma nature ne m’a pas permis d’avoir cet idéal. J’avais l’idéal, mais de le vivre, c’est autre chose.
Curiosité d’historien, diversité des hommes, je n’ai jamais pu concevoir de n’aimer qu’un type de personne. En général, comme disait l’autre, je ne suis pas d’un seul livre. J’avoue avoir vécu la diversité et, pour moi, c’est une donnée fondamentale de la vie». Interrogé sur son rapport avec les femmes et la beauté, Leslie Manigat aura cette tirade sublime : « Comment peut-on être indifférent au spectacle de la femme ? …Moi je dis qu’il suffit de regarder cette beauté-là, je dis seulement regarder, pour se dire que la vie est digne d’être vécue. » Dans cette longue interview accordée à Ticket, il poursuit : « Le spectacle de la beauté et la plus grande récompense de l’être humain.
Et ce qui, à mon avis, fait qu’un homme reste un homme est sa sensibilité au spectacle de la beauté. Etant donné que nous sommes des êtres de chair et d’os, il faudra privilégier la beauté du corps en général et la beauté d’un corps féminin. Et cette beauté qui non seulement est une incitation, non seulement est une invitation, mais c’est aussi une tentation à laquelle des hommes comme moi ne peuvent accepter de se priver et de résister.
Je crois qu’il faut succomber à la beauté. » Fondateur du Centre d’études secondaires avec une pléiade de camarades de sa promotion en 1954, fondateur en 1958 de l’Ecole des hautes études internationales, aujourd’hui Institut national d’administration, de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI), rattaché à l’Université d’Etat d’Haïti, professeur émérite des Universités en Europe, aux Etats-Unis et dans la Caraïbe, historien, homme d’Etat, Leslie Manigat laisse une oeuvre immense qui embrasse Haïti et l’Amérique latine.
On ne compte plus les ouvrages, les brochures, les conférences, les articles de ce boulimique. Questionné sur le compagnonnage entre l’historien et le politicien dans son parcours, Manigat dira : «Le rapport entre la politique et la vie intellectuelle est le grand drame de ma vie. Et je l’accepte intégralement. Parce que si j’étais resté en France, je serais resté purement et simplement un historien politologue. C’est à cause d’Haïti que j’ai dû engager la bataille politique. L’engagement dans la bataille politique pour faire la politique autrement. Ceci a créé un problème extraordinaire. » Leslie Manigat restera dans l’histoire comme un chantre d’une certaine et haute idée d’Haïti. Dans l’entretien réalisé en 2004, il expliquera sa vision d’Haïti en ces mots : « Haïti n’est pas seulement la négritude debout, c’est l’intelligence debout.
Voyez l’Histoire d’Haïti, c’est nous qui, par nos productions, avions gagné la bataille de l’égalité des races humaines avant la décolonisation. C’est extraordinaire ! Regardez l’œuvre haïtienne. C’est un petit pays qui a fait une œuvre intellectuelle extraordinaire. Il n’existe pas de proportion entre la richesse de la production haïtienne et, hélas, nos performances dans d’autres domaines. Victor Hugo, probablement le plus grand esprit du XIXe siècle, a dit d’Haïti que c’était une lumière. Et je crois que c’est ça qu’il faut que nos jeunes comprennent. Nous avons fait un effort intellectuel tel que Victor Hugo nous a appelés une lumière ! Est-ce que nous méritons aujourd’hui d’être appelés une lumière ?
Voilà le gros problème de la décadence et de la déchéance haïtienne. » Le dernier texte publié par le prolifique professeur Manigat demeure son adresse à la Jeunesse de mars 2014. Il y disait : « Toute ma vie, j’ai mené le bon combat patriotique et j’ai conduit le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes, depuis sa fondation en 1980, sur le chemin de la construction démocratique, du respect des autres, de la grande lutte pour la justice sociale et l’indépendance nationale. »
Au soir de sa vie, Leslie Manigat, politique jusqu’au bout, conclut sa dernière adresse : « Plus que jamais, l’Alternative, c’est nous. L’Alternative, c’est vous ! ». L’inversion entre le nous et le vous de cette formule de clôture est significative, Manigat comprend enfin que la démocratie, c’est les autres. Ce peuple haïtien si changeant qu’il faut charmer, pas éblouir.
Frantz Duval duval@lenouvelliste.com Twitter:@Frantzduval