Haïti, dix ans d’histoire Secrète d’Haïti par Nicolas Jallot,et Laurent Lesage (partie6 et fin)


Chapitre IV

INTROUVABLE SOLUTION

1991-1993

Un coup d’État! Un autre. La population est assommée. Deux semaines après le départ d’Aristide, le pays, sous le choc, reste paralysé. Le putsch qui vient d’écarter du pouvoir le leader de Lavalas est d’un autre type que les précédents. Exceptionnellement sanglant, le coup d’État de Michel François récupéré par Cédras est aussi le plus long. Il est en effet bien rare que la fièvre dure au‑delà de quarante‑huit heures. Cette fois, les soldats font du zèle. Non seulement les persécutions contre les pauvres continuent, mais les militaires poursuivent l’impitoyable chasse à l’homme, visant les principaux alliés du président exilé. Des récits des horreurs commises filtrent des zones rurales où la presse vient d’être réduite au silence.

Une jeune femme de la ville de Gonaïves raconte que, le mercredi 2 octobre, « des soldats ont pénétré dans sa maison et tué ses trois jeunes frères. Caché, son père a pu échapper au massacre. Elle ignore cependant pourquoi ses frères ont été exécutés. Elle remarque toutefois que d’autres membres d’organisations étudiantes ont été tués. De nombreux autres jeunes gens ont fui vers les montagnes  ». De fait, devant la gravité des événements, un certain nombre de Haïtiens préfèrent rester cachés quelque temps.

Depuis Caracas, le président Aristide organise la résistance. Réconforté, encourage par ses amis, il croit de nouveau en son étoile. Dès son arrivée à l’aéroport, il se reprend. « Chef d’État, j’étais, chef d’Etat, je resterai » Il se rend compte qu’il a jugé prématurément la partie perdue. « À la minute, je le sens d’instinct, j’avais sous‑estimé la réaction de la communauté internationale  », écrira‑t‑il.

Les premières réactions des grandes puissances sont unanimes pour condamner le putsch. Elles traduisent aussi l’exaspération des Occidentaux devant les difficultés singulières de ce pays, qui semble multiplier les obstacles à l’avènement d’une démocratie. Le pays du vaudou n’est décidément pas comme les autres. Comment inverser le cours des événements, toujours favorables aux forces qui ont prospéré sous les Duvalier ? La démocratie est‑elle concevable dans un pays où les puissants la refusent avec violence?

Il faut sans doute avoir la foi chevillée au corps pour espérer encore, à ce moment où le pire scénario vient de se dérouler. Aristide refuse la fatalité. À défaut d’annoncer la « bonne nouvelle », il envoie depuis Caracas, le le’ octobre, un message au peuple haïtien. « Tenez bon! J’ai la conviction que nous, le peuple, raccourcirons la route qui mène à la démocratie. Tenez bon, ne laissez pas tomber. » Les encouragements du président ne pèsent pas encore très lourd. Mais le bras de fer est engagé entre les militaires et Aristide. La population haïtienne compte ses morts. Le bilan est effroyable. Le 1″‘ octobre, une radio française annonce que 130 personnes ont été tuées. Mais un reporter qui mène l’enquête à la morgue de l’hôpital général dénombre 140 corps dans une seule pièce. Les estimations des journalistes sont bien en deçà de la sinistre réalité. Le lendemain, l’hôpital ne peut fonctionner. Sous les menaces des putschistes, les médecins quittent les lieux. L’hôpital reste fermé pendant quarante‑huit heures. Jusqu’à ce qu’un petit groupe d’infirmières parvienne à convaincre quelques chirurgiens de revenir pour s’occuper des blessés. Une initiative courageuse qui n’est pas sans risques. Le chef des infirmières témoigne : « Quelques heures après le coup d’État, on arrête d’apporter les morts. Même les blessés sont exclus des soins car les soldats saccagent l’hôpital. Ils exécutent malades et blessés et nous ordonnent de quitter les lieux. Nous n’avons repris nos activités que le mercredi. »

Bien que la junte au pouvoir soit en mesure d’écraser toute rébellion par la force, rien n’est gagné pour elle. Comment va‑elle gérer son image désastreuse au terme des massacres qu’elle a perpétrés pour renverser le président démocratiquement élu 1 Le nouveau régime incarne, de surcroît, la continuité du pouvoir néo‑duvaliériste, décidément indéboulonnable. Deux présidents élus, Leslie Manigat, seulement pendant cinq mois, et Jean‑Bertrand Aristide, seulement pendant sept mois, ont entretenu l’illusion d’un changement. À l’exception de ces deux courtes périodes, les forces conservatrices n’ont jamais perdu le pouvoir.

« Aux yeux des étrangers, Haïti représente le  » coeur de l’obscurantisme « . Un pays dirigé par des Noirs, des dictateurs bizarres et violents qui exercent seuls le pouvoir », résume abruptement James Ridgeway’. Les récents événements ne font qu’aggraver la désastreuse image du pays. Pour beaucoup d’observateurs étrangers, le sort en est jeté. Haïti ne peut pas s’en sortir…

Le soutien des grandes familles suffit..

À l’intérieur du pays, quelles forces soutiennent maintenant les putschistes ? Pour le comprendre, il est nécessaire de décomposer encore une fois l’architecture de la société haïtienne telle qu’elle s’organise, en différentes classes sociales dont les intérêts divergent.

Au sommet, on trouve principalement l’oligarchie mulâtre, composée de plusieurs milliers de personnes. La vie qu’elle mène est peu en phase avec cette fin de XXe siècle. Elle est nettement plus proche d’une histoire féodale. Moins d’un pour cent de la population appartient à cette classe dirigeante qui contrôle la plupart des richesses d’Haïti.

Ces familles, venues du Moyen‑Orient ou d’Europe, vivent en ville. Sur les hauteurs de Port‑au‑Prince, à Pétionville surtout. Leur installation dans le pays remonte au début du siècle. Elles sont venues s’y établir, la plupart pour faire du commerce. Au cours des décennies, elles ont opéré un virage, optant pour l’industrie. On les retrouve ainsi dans la fabrication de produits sidérurgiques, les usines de plastique, de ciment, de chaussures, les produits pharmaceutiques. Certaines d’entre elles trempent aussi dans le trafic de drogue.

Depuis des années, ces familles utilisent l’année, les tontons macoutes, et tout l’appareil d’État pour maintenir leur splendeur décadente. Elles constituent la vraie force réactionnaire.

Idéologiquement, elles n’ont aucun sentiment nationaliste. D’ailleurs, le succès de leurs affaires est lié aux vicissitudes du commerce extérieur.

Au début du siècle, certaines de ces familles ont joué le rôle de relais pour les milieux d’affaires nord‑américains, et, généralement, elles recherchent la protection des États‑Unis. Gilbert Biggio évoque cette situation particulière. « Nous sommes considérés comme des étrangers. Même si les Américains nous poussent à faire de la politique, à créer des partis ou des associations pour influencer le destin du pays, mon devoir d’homme d’affaires m’interdit de me mêler de politique. En Haïti, il vous faut choisir. Soit vous faites des affaires, soit vous faites de la politique. »

A coté de cette grande bourgeoisie qui vit la plupart du temps coupée de la réalité du pays ou parfois sur la défensive, s’est organisée une petite bourgeoisie urbaine. Elle se compose de docteurs, professeurs, intellectuels, commerçants noirs et mulâtres. Beaucoup ont des racines étrangères. Ils aspirent, souvent avec enthousiasme, au changement tout en étant fortement nationalistes. Ils sont nombreux ceux qui parmi eux ont été séduits par l’alliance de Lavalas qui propulsa Aristide au pouvoir. Ils n’adhèrent pas cependant à ses penchants révolutionnaires. Leur avenir est lié à la stabilité de la classe moyenne haïtienne, qui utilise leurs services et achète leurs produits. Une partie de cette petite bourgeoisie a dû quitter Haïti sous le régime des Duvalier. Us constituent aujourd’hui une importante diaspora. Son rôle n’est pas négligeable dans la vie haïtienne, la consolidation de ses actifs alimente l’île en avoirs considérables.

Ironie de la rocambolesque et tragique histoire haïtienne, ceux qui ont entretenu l’espoir de l’émergence d’une société civile en Haïti ont dû se résoudre à quitter leur patrie sous le système duvaliériste. Aujourd’hui, leurs financements réguliers « entretiennent » les grandes familles qui verrouillent le système politico‑économique d’Haïti.

La classe moyenne noire et urbaine, elle, est formée de petits salariés. Elle est effrayée par le changement. Elle vit dans la crainte de perdre son travail, et son emploi est souvent des plus précaires. Ces gens, dont l’existence est peu assurée, sont facilement manipulables. L’année comme les macoutes les terrorisent.

En bas de l’échelle, les masses populaires survivent dans la pauvreté et la douleur. Elles aspirent à un réel changement susceptible de mettre fin à leur grande misère et de leur rendre leur dignité. Cette population vit au jour le jour. Elle n’est cependant pas dépourvue totalement de conscience politique puisqu’elle évinça Jean‑Claude Duvalier en 1986, et se mobilise avec force pour élire Aristide en 1990.

Cette approche, même rapide, de la société haïtienne permet de décoder les stratégies respectives des uns et des autres. Les grandes familles penchent, sans états dâme, du côté de Cédras. C’est leur intérêt. Du moins, le pensent‑elles. Que Cédras soit l’homme des Américains ne les dérange pas. Le général est de toute façon préférable à Aristide, considéré comme un ennemi de classe.

Et Raoul Cédras sait qu’il peut compter sur le soutien des puissants de l’île. Peu lui importe l’hostilité de la petite bourgeoisie urbaine ou des masses populaires. Avec le soutien des grandes familles, il tient les cartes maîtresses, et rares sont ceux qui peuvent lui contester le pouvoir. Reste que les puissances occidentales lui tournent le dos…

Aristide, lui, est reconnu sur la scène internationale comme le chef de l’État légitime. Sur le plan diplomatique, la junte n’existe pas. Il ne se trouve pas un pays pour cautionner ce régime qui a versé le sang, si ce n’est le Vatican, qui profite du moment pour régler ses différends avec Aristide. La décision du  Saint‑Siège, qui reconnaît le régime militaire, fait l’effet d’une bombe. Les protestations sont nombreuses. En France l’évéque d’Évreux, Mgr Gaillot, s’insurge.

En revanche, secrétaire pour les relations avec les États au Vatican, Mgr Jean‑Louis Tauran  explique et justifie la décision : « Les relations diplomatiques pour nous ne sont jamais une fin en soi, encore moins une approbation morale accordée à un gouvernement. Le Saint‑Siège n’a jamais contesté l’élection de M.Aristide, mais il ne peut pas oublier les épreuves que l’Eglise a subies en janvier 1991 de la part de ses sympathisants. En un peu plus d’une heure, à Port‑au‑Prince, la première cathédrale, le siège de la conférence épiscopale et la nonciature ont été saccagés et le nonce a échappé à la mort. » Mgr Tauran précise également que, « de par sa qualité diplomatique, le nonce est à même d’avoir accès aux pouvoirs en place, non pour approuver aveuglément leur gestion, mais pour faire valoir certains principes, défendre les droits de l’homme ».

La décision de l’Église est en fait conforme à son positionnement depuis l’ère Duvalier. Elle persiste à soutenir les forces conservatrices, seules susceptibles de maintenir une certaine stabilité dans le pays, et d’éviter une « dérive marxiste » ou gauchisante. Comme en 1986, il n’y a pas d’alternative crédible aux militaires dans le pays. D’ailleurs les Américains ne sont pas loin de partager cette analyse. Mais leur attitude est plus ambiguë, dans la mesure ou, officiellement, ils soutiennent Aristide.

La France, pour sa part, n’est pas en odeur de sainteté chez les putschistes. Son ambassadeur est déclaré indésirable. Un ultimatum est fixé à Jean‑Raphaël Dufour: « L’ambassadeur doit quitter Haïti dans un délai de quarante‑huit heures. Passé ce délai, le gouvernement ne lui reconnaîtra aucun statut diplomatique. » Le communiqué est signé de Jean‑Jacques Honorat, le nouveau Premier ministre nommé par Cédras. Sans doute faut‑il ajouter que les principaux ministres d’Aristide se sont réfugiés à la résidence de l’ambassadeur de France, et la junte exige leur sortie. Dufour réplique sèchement: « Ils sont mes invités. »

Finalement, la France cède. Dufour va partir. Devenu un héros pour un grand nombre de Haïtiens favorables au retour du président Aristide, il ne mâche pas ses mots. Il qualifie les putschistes de « lâches prêts à faire leurs valises et à s’enfuir ». Il ajoute que « les généraux ne sont que des pilleurs de coffres‑forts  ». Ses propos, audacieux pour le coup, font boule de neige. La communauté internationale soutient l’ambassadeur de France. Le Premier ministre canadien, Brian Mulroney, traite les putschistes de « voyous ». Il leur reproche de violer la convention de Vienne sur le statut diplomatique. Une voiture diplomatique vient effectivement d’être arrêtée et fouillée. Ses occupants sont maltraités. Une valise diplomatique est bloquée et les scellés d’un colis sont brisés. Décrété persona non grata, Jean‑Raphaël Dufour quitte Port-au‑Prince le 20 novembre 199 1. Il sera, par la suite, décoré de la Légion d’honneur, et nommé au poste d’ambassadeur à La Havane. Belle promotion pour ce diplomate remuant. Mutation géopolitiquement correcte.

Le coup le plus dur porté aux militaires émane de l’OEA, l’Organisation des États américains. Saisie du dossier haïtien, elle décrète un embargo commercial et suspend l’aide étrangère à Haïti. Les conséquences sont catastrophiques pour une économie déjà exsangue. Les premiers effets de l’embargo se font rapidement sentir. Comme toujours en pareil cas, c’est le peuple qui subit de plein fouet les conséquences de la sanction politique. Le coût de la vie explose. Certes, tous les produits subsistent sur le marché, en provenance de Saint‑Domingue, mais leur prix, qui a grimpé de façon vertigineuse, les met hors de portée des masses populaires. Par milliers, les Haïtiens s’embarquent à bord de frêles embarcations. Ces boat people espèrent atteindre une terre plus accueillante. La Floride, par exemple, à cause du mythe salvateur qu’elle représente. Mais le rêve n’est que de courte durée. La mer garde plusieurs centaines de ces aventuriers. Pour les plus chanceux, la déception est au bout de la traversée. Ils sont le plus souvent interceptés par des navires américains. Pour les garde‑côtes, ces candidats à l’exil ne sont que des réfugiés économiques. Ils doivent rentrer chez eux.

Inquiet de l’ampleur du phénomène, le gouvernement américain assouplit sa position. Tous les Haïtiens ne sont pas rapatriés. Certains sont « internés » sur la base américaine de Guantanamo, a Cuba. Hébergés sous des toiles de tente.

Une vaste polémique est lancée aux Etats‑Unis sur le statut de ces milliers de boat people. En fait, la recrudescence de ces « évasions » incite les Américains à trouver une issue rapide à la crise. Haïti devient quasiment un problème de politique intérieure américaine.

Des négociations s’ouvrent, sous les auspices de l’OEA, entre les deux parties du conflit haïtien. Elles se soldent par un échec rapide. La situation semble complètement bloquée. Aristide se déclare pourtant certain de rentrer en Haïti avant Noël. Erreur. Cette année‑là, il n’y aura même pas de messe de minuit. L’insécurité perdure. L’année 1991 s’achève comme elle avait commencé, dans la peur mais aussi dans l’espoir.

Il faut attendre une année pour entrevoir un possible changement. Aristide, sous la pression des Occidentaux, accepte de nommer Marc Bazin Premier ministre. L’homme a été ministre des Finances de Jean‑Claude Duvalier, avant Frantz

Merceron. Depuis, il ambitionne, tenace, de mettre ses compétences au service de son pays. Mais avec la junte au pouvoir, ce fin politique n’est qu’une « marionnette ». Son gouvernement, défacto, laisse se développer un empire nourri par la contrebande et la corruption. Comment ce leader démocrate a‑t‑il pu se compromettre de la sorte ? Plusieurs observateurs étrangers avancent que Marc Bazin et les siens n’ont pas le choix. Ils acceptent d’assumer la responsabilité de cette période transitoire afin de renflouer les caisses vides de leur parti politique, et, aussi, de régler le passif financier de leur échec cuisant aux présidentielles de 1990…

Dans cette partie de l’île à la dérive, la terreur est désormais instaurée, systématiquement organisée. L’horreur est portée à son comble le 27 décembre 1993. Encerclant le bidonville, un commando met le feu à la Cité Soleil. Fief du président Aristide, ce quartier de la capitale doit être « rasé comme un terrain de football ». Un carnage. Tuant de nombreux habitants qui tentent de fuir, ils vont même jusqu’à « pousser un handicapé dans le brasier », rapporte la commission « Justice et paix » qui a enquêté sur ces crimes. Un peu partout dans le pays, racket, viol et rapt deviennent monnaie courante. Depuis le coup d’État du 30 septembre 1991, le bilan des victimes est des plus lourds. De 2 000 à 4 000 morts ou disparus. À ce chiffre, il faut ajouter les 400 000 déplacés intérieurs et plus de 35 000 boat‑people, refoulés par les gardes‑côtes arnéricains.

« Au moment du coup d’Etat, la répression était aveugle. Aujourd’hui elle est structurée et intelligemment menée », souligne un observateur étranger. Il s’agit, pour les nostalgiques d’une certaine époque, de briser toute résistance. Deux assassinats marquent cette période chaotique. Celui de Guy Malary, le ministre de la Justice, qui projetait la séparation des forces armées et de la police. « De quoi se mêlait‑il », croit devoir justifier un soldat travaillant pour Michel François, sûr de lui, alors qu’il s’exprime devant des journalistes étrangers; ensuite, celui d’Antoine lzméry. L’homme qui a financé la campagne du père Aristide est un personnage singulier. La violence, qui frappait habituellement les pauvres gens, touche cette fois, à travers la personne d’Antoine Izméry, la bourgeoisie. Il est vrai, Izméry était considéré comme un illuminé par « ceux de sa classe », un philanthrope suspect. Toujours prompt à la contestation, il avait été arrêté plus de vingt fois sous le régime Duvalier et dans les années qui suivirent. Il en tirait, d’ailleurs, une certaine fierté.

« Mélange de noblesse et de charité, Antoine Izméry jouait volontiers les Mandrin ou les Robin des Bois, aidant sans compter les uns et les autres », rapporte Jean‑Bertrand Aristide . « Le soleil brille pour tous, pas seulement pour quelques‑uns. La vie ne vaut que par l’aide que vous apportez aux autres », avait‑il coutume d’expliquer. La mort qui guettait? « Il n’en avait pas peur », se souvient un de ses proches qui essaya de le dissuader d’organiser une messe, ce deuxième dimanche de septembre 1993.

Le 11 septembre, Izméry avait décidé d’organiser un « jour anniversaire » en mémoire des victimes de l’attaque de l’église Saint‑Jean‑de‑Bosco, cinq ans plus tôt. Ce jour‑là, l’église du Sacré‑Coeur‑de‑Turgeau est cernée par des policiers. Un homme armé entre dans l’église, le cherche, s’adresse à un photographe d’une agence de presse américaine qui porte la barbe comme la future victime. « C’est toi Izméry ? » Le reporter est terrifié. Se rendant compte de son erreur, l’homme se dirige vers, Antoine Izméry, l’arrache de son siège, et le traîne dehors. Il l’abat alors de deux balles dans la tête. Les fidèles venus à la messe n’osent rien entreprendre. Deux passants, assistant au drame, sont assassinés. À l’intérieur de l’église, les témoins ne manquent pourtant pas, observateurs de l’ONU, diplomates, journalistes… Mais que pouvaient‑ils faire, sinon constater leur impuissance, face à des hommes armés, venus pour tuer?

Les coupables sont connus de tous. Ce sont, une fois de plus, les hommes du FRAPH, sous le contrôle de Michel François, qui ont agi. Dans la descente aux enfers de l’année 1993, Haïti voit apparaître cette nouvelle formation politique, fortement enracinée dans l’armée. Par certains aspects, le FRAPH est une réminiscence des tontons macoutes de Papa Doc. Un nouveau pilier du régime Cédras. Le 3 juillet, les accords de Governor’s Island, signés en présence du général Cédras et d’Aristide, prévoient le retour d’Aristide pour le 30 octobre 1993. Cédras doit quitter le pouvoir le 15 octobre. Un tournant décisif qui doit s’effectuer dans une atmosphère de réconciliation nationale.

Les dessous des accords

Pour trouver cette issue, il a fallu convaincre les militaires de venir à la table des négociations. Ce qui n’était pas simple. Fin juin 1993, Frantz Merceron va en république Dominicaine. « Je m’y suis rendu pour rencontrer Samson Élysée, l’émissaire de Michel François et de son frère qui, à l’époque, était en république Dominicaine. Nous étions en conversation téléphonique avec Biamby et Cédras. Il a été décidé ce jour‑là deux choses : le limogeage de Bazin et l’ouverture des accords de Governor’s Island’. »

De fait, Marc Bazin tombe trois jours plus tard. Impopulaire, l’homme n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu dans ce contexte politique particulier. Les militaires n’en voulaient plus. À Saint‑Domingue, son sort est rapidement réglé, la stratégie élaborée. Le lundi, les ministres de Bazin s’opposeront à une décision de leur Premier ministre. Trois jours plus tard, la manipulation aboutit comme prévu. Bazin doit se démettre…

En revanche, la deuxième question est des plus délicates : comment convaincre les militaires d’accepter la négociation ? « Il fallait vaincre les réticences de Philippe Biamby qui ne voulait pas négocier, tout comme celles de Michel François », raconte Frantz Merceron. « Les militaires n’ont pas cédé sous la pression des Américains’ », explique‑t‑il, en présence de Jean‑Marie Chanoine qui confirme la situation.

Samson Élysée, le conseiller de Raoul Cédras, joue alors un rôle déterminant. Frantz Merceron met également son poids dans la balance. « L’une des raisons de cette visite éclair, de quarante‑huit heures que j’ai faite en république Dominicaine a été de leur servir un peu de catalyseur pour les convaincre de se déplacer et d’aller signer ces accords de Governor’s Island, en vue de débloquer la situation. » Cédras n’avait pas besoin d’être convaincu. Il était « aux ordres ». En revanche, les deux autres officiers sont très réticents. Le plus facile à convaincre est Philippe Biamby. « Samson Élysée pesait d’un poids considérable sur Biamby », se souvient Frantz Merceron. Biamby est également « redevable » à ce dernier. Pour le comprendre, il faut revenir quelques années en arrière.

«’C’est moi qui l’ai fait sortir de prison aux États‑Unis où il se trouvait après le coup d’État, destiné à renverser Avril, et dans lequel j’avais joué un rôle non négligeable, ainsi que mon ami Jean‑Marie, car on estimait qu’Avril avait dépassé les mesures », raconte Frantz Merceron avec la verve qui le caractérise.

À l’époque ‑ on est en 1989 ‑, ce putsch de Riobé, auquel Biamby prend une part active, se solde par un échec. Les deux hommes se retrouvent en prison aux États‑Unis. Merceron raconte la suite: « Je suis intervenu parce que, tout simplement, je me sentais quelque peu moralement responsable de Biamby. Je suis allé à New York, j’ai rencontré un avocat, M. Bernstein. J’ai appelé Biamby en prison, il m’a dit:  » Oui, je suis trahi par ces salauds d’Américains…  » En fait il voulait rentrer comme immigrant et, pour les Haïtiens, leur problème est de régulariser leur situation. Je lui ai dit :  » Ils considèrent que tu es rentré sans papiers aux États‑Unis, tu ne peux pas te prévaloir d’une demande d’immigration, tu risques de rester dix ans en détention préventive.  » » Merceron conseille alors à Biamby de dire qu’il souhaitait quitter les États‑Unis. Biamby accepte. Entre‑temps, Samson Élysée lui avait trouvé un point de chute à Caracas. « Il a été libéré immédiatement et expulsé vers le Vénézuela, poursuit Frantz Merceron. Je pense que Biamby m’a été reconnaissant de l’avoir sorti de prison. » Une « petite histoire » qui ne sera pas sans importance, quelques années plus tard, en juin 1993, lorsqu’il s’agit de convaincre les militaires de négocier. Une semaine après, les accords de Governor’s Island sont signés. Ils ouvrent la voie d’un règlement de la crise haïtienne. Ils ne font que l’ouvrir.

Dans la foulée des accords, le Premier ministre d’Aristide, Robert Malval, qui a succédé à Marc Bazin, souhaite le retour au pays de tous les Haïtiens. Dans un esprit de réconciliation, il ne s’oppose pas même à celui de Baby Doc. Jean‑Claude Duvalier peut désormais rentrer au pays. Certes, la Constitution haïtienne de 1987, toujours en vigueur, interdit aux duvaliéristes de’jouer un rôle politique pendant dix ans. Son retour est donc possible, mais il n’est pas question d’un retour au pouvoir.

Il n’empêche, les paroles de bienvenue de Malval favorisent le retour d’anciens duvaliéristes. Ce qui n’est pas sans influencer la vie politique haïtienne. Une nouvelle aile droite politique émerge, dont, précisément, le Front pour l’avancement et le progrès haïtien, mieux connu sous le nom de FRAPH. À sa tête, Emmanuel Constant, dit Toto, est le fils d’un chef d’état‑major de Papa Doc. Juste derrière ce jeune chef de parti, qui a des accointances à la CIA, apparaissent Reynold Georges, le sociologue Hubert de Ronceray et dans l’ombre, le filleul de Papa Doc et ancien ministre de l’Intérieur de Jean‑Claude Duvalier, l’ex‑général Claude Raymond, mis en cause dans de nombreux massacres. On lui impute notamment ceux des élections du 29 novembre 1987. Ces nostalgiques de l’ordre ancien ne facilitent guère le bon déroulement des négociations. La fine équipe des putschistes et les forces néo‑duvaliéristes qui les soutiennent ne sont pas pressées de lâcher le pouvoir. Tous ont envie de faire durer le plaisir… Cédras s’accroche à son fauteuil. Le FRAPH connaît sa période de gloire.

Le 11 octobre 1993, mobilisant une bande de voyous qui brandissent leurs armes sur un quai du port de Port‑au‑Prince, le FRAPH parvient à effrayer les premiers Américains envoyés pour rétablir le pouvoir civil. Il s’agit d’un détachement d’instructeurs militaires canadiens et américains. De fait, le USS Harlan Country reprend la mer, laissant les brutes du FRAPH sur les quais savourer leur courte victoire…

Ces héritiers des macoutes apparaissent comme les maîtres absolus du destin du pays. La piteuse volte‑face de l’USS Harlan Country, sous la menace d’une foule vociférante, raine le crédit des Nations unies à Port‑au‑Prince. Puis, apparaît le cargo français Gallis Bay, chargé de 530 tonnes d’aide alimentaire. Il est, à son tour, interdit d’accostage. L’« aumône » est jugée infamante par les néo‑duvaliéristes, explique Vincent Hugeux dans Politique intemationale, qui rapporte également la déconvenue américaine: « Ivres de rage et de rhum, encadrés par des militaires en uniforme, les émeutiers massés sur les docks de Port‑au‑Prince à l’approche du Harlan Country menaceront Bill Clinton d’une  » deuxième Somalie « . Mise en garde distillée, dans l’entourage de Raoul Cédras, avec une tranquille arrogance . »

L’opinion publique américaine est mobilisée. À Washington, le sénateur républicain Bob Dole donne le ton. « Le sort d’Haïti ne vaut pas la vie d’un seul soldat américain. » Retour à la case départ.

Pendant ce temps, plongée dans une misère sans fin, la population désespère d’entrevoir une solution à cette crise interminable. Certains attendent le retour d’Aristide. D’autres évoquent, avec regret, la période Baby Doc où, disent‑ils, « nous trouvions à manger et on nous laissait tranquilles, si on ne disait rien ». Paradoxe. La cote de popularité de l’exprésident Jean‑Claude Duvalier n’a jamais été aussi élevée. Tout comme celle d’Aristide. « On nous abandonne », soupire la population à mi‑mot. Dans les bidonvilles comme dans les campagnes où l’exaspération est à son comble, les gens réclament le retour d’Aristide. Ou, à défaut, celui de Jean‑Claude Duvalier…

1994: La comédie du pouvoir continue

Les Americains n’arrivent pas à se décider à déloger la junte. Une fois de plus, Cédras ne respecte pas la nouvelle date prévue pour son départ, le 15 janvier. Aristide s’insurge. « Incroyable. Nous avons respecté l’accord signé sur l’ile du Gouverneur. Nous avons nommé un Premier ministre. Cédras devait s’effacer, il est encore là. Soyons sérieux. Ou bien on feint de ne pas voir le génocide, le massacre perpétré sous les yeux de la communauté internationale. Ou bien on veut y mettre un terme. Si tel est le cas, il faut faire en sorte que les militaires partent. Ensuite, nous nommerons un Premier ministre, nous aurons un gouvernement et nous restaurerons la démocratie.»

Devant le scepticisme général quant aux résultats de l’embargo renforcé, Clinton brandit la menace d’une invasion : « Nous n’avons pas encore décidé de recourir à la force, mais, désormais, nous ne pouvons l’exclure. »

L’ex‑présîdent George Bush réplique que ce serait une « énorme erreur ». Il précise qu’« aucune vie américaine n’est en danger en Haïti ». Il prône, par ailleurs, la fin du soutien à « l’instable Aristide ». Il faut dire qu’un rapport de la CIA a présenté le personnage comme un malade. Ce document, publié par le New York Times, dépeint un Aristide « mentalement instable » et « maniaco‑dépressif ».

Tout comme le Pentagone, la CIA cherche à torpiller le retour d’Aristide. Il se trouve même un sénateur pour aller plus loin dans la caricature d’Aristide. Jesse Helms, élu de Caroline du Nord, le présente comme un « psychopathe » et Un « tueur avéré ».

À partir du dimanche 22 mai, Haïti subit cette fois des sanctions économiques draconiennes. Importations et exportations sont prohibées, à l’exception des médicaments et des vivres à caractère « humanitaire ». Le renforcement de l’embargo ne fait qu’exacerber les souffrances de la population, déjà misérable, et enrichir encore les putschistes qui contrôlent la contrebande, via la république Dominicaine voisine.

La Maison‑Blanche continue de réfléchir sur les chances de réussite d’une opération « coup de poing » en Haïti pour déloger la junte. Elle rendrait crédible la politique étrangère de Bill Clinton. Elle permettrait aussi de tarir le flot des réfugiés. Les États‑Unis redoutent un exode encore plus massif des Haïtiens vers la Floride. Comme Ronald Reagan à la Grenade, et George Bush au Panama le président américain n’a pas besoin de l’accord du Congrès pour agir.

Le Pentagone, se prépare à cette éventualité. À la mi‑mai, des « grandes manoeuvres » navales, auxquelles participent 44 000 hommes, des navires amphibies, des chasseurs et un sous‑marin, simulent une invasion d’Haïti. « Entraînement de routine », explique‑t‑on à la Maison‑Blanche. Mais selon des sources militaires du Commandement atlantique basé à Norfolk (Virginie), l’exercice baptisé « Agile Provider » « a été planifié en pensant à Haïti ».

Mais rien n’est joué. Encore faudrait‑il que le président Clinton, à mi‑mandat, soucieux de son image aux États‑Unis juste avant les élections, prenne le risque d’intervenir militairement en Haïti. Il cherche d’abord à gagner du temps, attendant les hypothétiques résultats du renforcement de l’embargo.

Les militaires haïtiens ne s’en plaignent pas. Ce chaos favorise la poursuite des trafics. En fait, ils cherchent à résister aux pressions étrangères et à se maintenir au pouvoir, au moins jusqu’à l’échéance du mandat présidentiel d’Aristide en décembre 1995. Alors que l’attitude des Américains est pour le moins confuse, la stratégie des putschistes est clairement définie. Tenant tête à la communauté internationale, ils peuvent faire entrer Haïti dans une nouvelle ère. Celle de l’âge d’or de la cocaïne. 1994 sera « l’année des dealers».

TROISIEME PARTIE

HAITI SOUS TUTELLE
Chapitre I

LES DIEUX VAUDOU SONT-ILS TOMBES SUR LA TETE ?

1994

La scène se passe fin 1993, au nord‑ouest d’Haïti. Un paysan sidéré voit des sacs de farine tomber du ciel. Rendant grâce aux dieux vaudou, il file au marché voisin pour négocier cette manne. Le lendemain, un boulanger du cru porte plainte contre le « fournisseur » car sa « pâte ne prend pas ». Et pour cause : la farine n’était autre que de la cocaïne de première qualité. Arrêté par le « Service des narcotiques des forces armées d’Haïti » (SNFAH), l’homme est condamné par le juge de paix pour trafic de drogue. « Prise » modeste quand on estime à plus de 4 tonnes par mois, la quantité de cocaïne atterrissant sur le sol haïtien. Soit un bénéfice net de plus d’un milliard de dollars. L’histoire est symptomatique des « années militaires ».

De 1986 à 1994, le trafic de drogue s’implante massivement sur le territoire haïtien, au point d’en faire une véritable plaque tournante de la drogue pour cette région. Un gigantesque entrepôt pour les trafiquants venus de Colombie, avant d’approvisionner toute l’Amérique du Nord. Une grande partie de la hiérarchie militaire plonge dans le trafic. Sous la junte du général Cédras, la drogue est omniprésente dans le pays pourtant sous embargo international, elle permet d’entretenir royalement une armée habituée à la pratique des enveloppes depuis l’ère Duvalier.

Aucune affaire de drogue ne vient perturber la présidence de Baby Doc jusqu’à 1982. Cette année‑là, les fructueuses affaires de Frantz Bennett, frère de Michèle Bennett Duvalier, sont mises en évidence .

À San Juan (Porto‑Rico), le beau soleil de ce vendredi 11 juin 1982 invite à la détente. Mais, cette fois, la famille Bennett ne va pas à la plage. Accompagnée de quelques observateurs du gouvernement duvaliériste, elle a fait le voyage à San Juan pour assister à une pénible audience pour elle. Frantz, leur fils, frère et ami, va y être jugé pour trafic de stupéfiants.

C’est un imposant cortège qui se rend à pied de l’hôtel « El Convente » jusqu’au tribunal fédéral, seulement à quelques pas, dans le vieux quartier de la ville. Le juge Juan R. Torruella ne se laisse manifestement pas influencer par les liens familiaux du prévenu. Frantz Bennett est condamné à quatre ans de détention, dont un an et trois mois de prison ferme pour trafic de drogue. Les activités du frère de la « première dame » du pays seront confinées désormais au périmètre d’une prison fédérale. Le condamné purgera sa peine à Atlanta aux États‑Unis.

Au moment du verdict, les femmes fondent en larmes. Emest ne perd pas pour autant son sang‑froid et conseille opportunément à son gendre de prendre ses distances avec son fils compromis, jugeant cela « politiquement plus profitable ».

Marqué par cette épreuve, Emest Bennett s’enorgueillit depuis de « lutter contre la drogue dans son pays ». Comme pour racheter son fils. La, DEA ‑ Drug Enforcement Administration, le service anti‑drogue américain ‑, va même  jusqu’à lui tendre un piège pour juger de ses bonnes intentions. Le beau‑père de Jean‑Claude Duvalier s’en sort bien. Il obtient de Dennis F. Hoffinan, chef conseil de FUS Departement of Justice / DEA une lettre qu’il exhibe aujourd’hui à la moindre accusation portée contre lui. « Les déclarations de presse relatives à la participation de M. Bennett au trafic illicite de la drogue ne proviennent pas de la DEA ou de l’agent spécial John Sutton. De plus, Sutton a informé mon office qu’il n’a jamais fait allusion à M. Bennett comme un intermédiaire dans le trafic de drogue. » Etc.

Ainsi, dans un courrier adressé au journal Le Monde’, M. Bennett balaie formellement les nouvelles accusations qui l’impliquent dans le trafic de drogue en Haïti. Ces « accusations sont d’autant plus odieuses qu’un drame familial ‑ allusion à son fils Frantz ‑, intervenu il y a quelques années, n’a pu qu’accroître notre aversion contre tout ce qui concerne la drogue, et qu’à titre personnel, dans tous mes écrits, je me suis élevé contre ce fléau  ».

Encore aujourd’hui, Ernest Bennett, qui vit confortablement en France, dément farouchement avoir joue le moindre rôle dans ce trafic. Il ne peut nier en revanche que son fils, Frantz, se soit livré à la contrebande. Ernest Bennett a, pour sa part, une conception plus traditionnelle du business. Cet homme, volubile et débrouillard, a fait fortune dans le commerce, à l’image des grandes familles haïtiennes. La plupart de ces grands bourgeois limitent leurs activités à des entreprises qui ne peuvent en rien les mettre en défaut avec la loi américaine. L’essentiel, pour eux, est de pouvoir circuler librement aux États‑Unis, où ils possèdent une partie de leurs biens, et souvent d’imposantes villas.

En marge de ses activités journalistiques, qu’il exerce avec talent, et de la publication d’un recueil de ses billets parus dans la presse haïtienne, cet homme qui aime les sains plaisirs jouit de sa nouvelle acquisition. Il est devenu propriétaire de la compagnie aérienne Haïti Air, la première ligne volant sous les couleurs du pays. « Une bonne part de mes économies  » y est passée.

« Au début des années quatre‑vingt, raconte un narcotrafiquant colombien, le cartel de Medellin utilise Haïti comme parking. Les macoutes veillent sur les entrepôts où sont stockées les cargaisons de cocaïne débarquées directement à l’aéroport de Port‑au‑Prince avec la bénédiction du pouvoir’. »

Déjà, à l’époque, la police touche sa part de butin pour fermer les yeux et faire taire les bavards.

Nouveau faux pas. Bennett embauche un pilote qui travaille avec les drogue dealers, et qui n’hésite pas à transporter de la drogue. Eugene ‑ junior ‑ Baillergeau est connu en Haïti. On le sait impliqué dans le trafic des stupéfiants comme ses amis, les frères Saint‑Hubert. « Si je l’avais su, je l’aurais révoqué immédiatement et j’aurais demandé aux autorités qu’on l’arrête… », déclare Ernest Bennett, se posant une nouvelle fois en infatigable chasseur de dealers … Le problème n’en est d’ailleurs plus un. En avril 1995, l’employé d’Ernest Bennett trouvera la mort en compagnie de l’avocate Mireille Durocher‑Bertin ‑ dont il était le client ‑, sous les balles d’un tueur professionnel, en plein jour dans une rue très passagère de Port‑au‑Prince qui mène du centre‑ville à l’aéoroport .

Un certain Monsieur Paul

À la chute de Duvalier, le rôle de protecteur en chef du trafic échoit à Jean‑Claude Paul, patron d’un bataillon d’élite. Alors que l’étoile du cartel de Medellin pâlit, la famille Paul aide les rivaux de Cali à s’implanter en Haïti. Cette famille n’est pas inconnue à Port‑au‑Prince. Duvaliériste notoire, elle a bénéficié dans le passé de la générosité de Papa Doc à l’égard des bons serviteurs de son régime.

Le patriarche, Antoine Paul, a commencé sa vie professionnelle comme livreur de lait. En fin de carrière, il était devenu responsable du service d’entretien du palais national. Pour ses enfants, Antoine Paul devait choisir les « bonnes » filières. Il décida d’orienter Jean‑Claude vers l’année.

Alexandre, lui, fréquenta les meilleures écoles, étudia en France, avant de choisir la diplomatie. Antonio, moins doué pour les études, devint mécanicien non sans réussite: sous Baby Doc, il est responsable du garage du palais national. Enfin, Max, un fils d’un autre lit, part étudier l’ethnologie en Allemagne. L’ambition d’Antoine pour ses enfants est quelque peu démesurée. Il rêve de voir Jean‑Claude devenir général, puis président.

Colonel commandant la caserne Dessalines, Jean‑Claude Paul est déjà l’homme fort de l’armée. Ses frères pensent pouvoir « réussir » par une autre voie. Sur leur ranch, ils font construire une piste d’atterrissage. La logistique pour un vaste trafic de drogue… Mais Jean‑Claude, entraîné dans les soubresauts de la politique haïtienne, est mis à la retraite par le général Avril le 30 septembre 1988. Un soulagement pour bon nombre d’adversaires de cet homme ambitieux. Les États‑Unis ne cachent pas non plus leur satisfaction. « Les Américains m’avaient demandé de le limoger, témoigne l’ancien président Leslie Manigat, ce que je me suis refusé à faire, car je n’avais pas de preuve de sa participation au trafic de drogue. Par ailleurs, Jean‑Claude Paul était le seul parmi les gradés de l’armée à mener une lutte contre l’insécurité, qui, en Haïti, était l’oeuvre des militaires . » Dans le collimateur du duo Avril‑Naraphy, l’éphémère président Manigat avait‑il d’autre alternative qu’une alliance avec le chef des « Léopards », fût‑il le protecteur des narcotrafiquants ?

Le 5 novembre de la même année, Jean‑Claude Paul meurt. Une affaire non encore élucidée. On sait seulement que sa soupe au potiron a été empoisonnée. Le colonel laisse une fortune de 50 millions de dollars, qui suscite quelques convoitises. IR est enterré ‑selon son désir ‑ « face contre terre », ce qui est significatif dans la religion vaudou, puisque cela annonce la vengeance!

Après avoir été élargie de sa prison, sa femme, Mireille, se réfugie au poste de police de Pétionville, signalant que les frères Paul la poursuivent. Quelques mois plus tard, Mireille et son nouvel ami, un ancien banquier, M. Monpoint, sont attaqués en plein jour dans leur voiture, aux environs de Port‑au‑Prince. Atteinte d’une balle à la colonne vertébrale, malgré plusieurs mois de traitement à Miami, elle reste paralysée. Elle se suicide. Les accusations portées contre elle sont levées. Reste l’enfant du couple Mireille et Jean‑Claude Paul, qui grandit à Port‑au‑Prince et se cache de ses oncles, désireux d’accaparer quelques parts du gâteau amassé par le colonel.

La mort de Jean‑Claude Paul n’est pas sans conséquences. Elle sème l’anarchie chez les trafiquants qui ont proliféré en Haïti En 1987, pas moins de 27 clans colombiens sont comptabilisés dans le pays. Une implantation qui suscite des convoitises chez les militaires, chaque officier réclamant sa part. Un aveu d’un trafiquant colombien en témoigne : « Nous avons choisi Haïti, non pour des raisons géographiques, mais parce que les militaires y sont faciles à corrompre. Chaque jour, bateaux et avions remplis de cocaïne affluent . » Mais cette fois, en l’absence d’un protecteur unique, les Colombiens y perdent en rentabilité. Peu importe, leur business reste fructueux. Seule l’arrivée du président Aristide marque un point d’arrêt dans leur juteuse contrebande.

Fin janvier 1994, Antonio Paul débarque à Miami en provenance de Port‑au‑Prince. À la présentation de son passeport américain, on lui apprend qu’il est recherché par la justice américaine, il est accusé de trafic de drogue. S’il est reconnu coupable, il risque 45 ans de prison et 375 000 dollars d’amende. La nouvelle le surprend. Pourtant, depuis mars 1987, on ne parle que de cela en Haïti.

La junte et l’argent de la drogue

Avec Cédras au pouvoir et Michel François aux commandes de l’armée, le trafic s’est affermi. Si Antonio Paul est en prison à Miami, son frère Max Paul ‑ nommé directeur de l’équipement aux douanes ‑ devient conseiller officiel de Michel François. Cet académicien atypique quitte son siège de doyen de l’université nationale pour prendre les destinées de l’administration portuaire. Renvoi d’ascenseur, le nouveau directeur général du port nomme autour de lui un certain nombre de proches de Michel François. La fine équipe dispose de la logistique de l’État pour contrôler, sinon organiser le trafic. La Haitian connection est en place. Les années Cédras seront les plus « belles » années de la drogue.

À Pétionville, la jeunesse dorée s’amuse dans les boites branchées. L’occasion pour les jeunes adolescents oisifs de succomber aux douteux attraits des « paradis artificiels ». Dans les night‑clubs et les bars, au El rancho, au Garage, au Gala ou au Rif, des sachets de cocaïne passent de main en main. Moyennant une modeste commission, un barman vous en procure, ou vous introduit auprès d’un ami. Rien de plus facile. Prix de vente: 50 gourdes haïtiennes, environ 20 francs. « C’est tout naturel », observe un jeune. Policiers et « attachés » ‑ leurs auxiliaires ‑, qui touchent une commission, ont intérêt à ce que le marché prospère. De fait, 5 % de la drogue transitant par Haïti atterrissent dans la poche des collaborateurs locaux.

Du désespoir à la drogue

À Cité Soleil, nous gravissons une montagne d’ordures pour traverser une ruelle poussiéreuse où l’odeur de l’eau croupie est omniprésente. Dans ce bidonville, l’ancien fief du président déchu, le père Aristide, les habitants vivent avec la peur au ventre. Un tap‑tap passe au milieu de cet égout à ciel ouvert. Dessus, on peut encore y lire LA VIE BON sous la triste pancarte CITE‑SIMONE. Sous la menace, les néoduvalieristes obligent les chauffeurs de mentionner le nom du quartier de l’époque Duvalier. Simone était la femme de Papa‑Doc ‑ alors que Cité Soleil symbolise la chute du dictateur. Arrive une autre tap‑tap sur lequel on découvre avec effroi LA VIE NE VAUT RIEN…

« Le plus pénible, confie un jeune étudiant de Cité Soleil, c’est la nuit. Nous prions pour que les bandes armées ne s’arrêtent pas devant notre porte. Nous attendons, dans l’angoisse, la délivrance de l’aube. » La nuit, Haïti se Mure dans sa peur. Les rues, sans éclairage, sont désertes. Port‑au‑Prince est une ville fantôme. Seuls des coups de feu troublent le silence. Parfois, le halo des phares annonce une arrestation, ou une exécution. Commence alors le macabre rituel des rafales d’armes automatiques. Les corps, criblés de balles ou dépecés, seront découverts au petit matin dans la rue, ou au fond d’un fosse. Souvent, les pourchassés cherchent refuge dans les mornes, perpétuant ainsi la tradition du « marronnage » cher à leurs ancêtres, héros de la lutte contre les colons français.

Le jour tout redevient « normal », en apparence. Il est difficile, faute d’essence ou de transports ‑ les prix sont trop élevés ‑, de travailler pour « gagner » son repas quotidien. Conséquence directe de l’embargo décrété contre Haïti. Dès lors les centres de nutrition ne désemplissent pas. Dans le Nord, l’ONG (organisation non gouvernementale) Enfants du monde ‑ droits de l’homme (EMDH) ne comptabilise plus les repas offerts chaque jour tellement la demande est importante. Le ventre creux, les vêtements en haillons, portant parfois dans les bras des enfants faméliques aux grands regards absents, les Haïtiens arrivent dans les centres pour y recevoir leur seul repas de la journée. Le père Yves Buannic, président d’EMDH, se révolte: « L’embargo a toujours été une fausse solution. En Haïti, ses effets sont désastreux et meurtriers. Au‑delà des conséquences humanitaires, il instaure un système d’assistanat permanent qui met en péril l’identité même d’Haïti. Tout cela pour rien. Aucune solution n’a été trouvée pour résoudre la crise politique . »

La misère et le désespoir sont le seul horizon des quartiers populaires. La drogue permet aussi d’oublier. Apparu voilà peu, le « crack » ‑ la cocaïne du pauvre ‑ circule dans les bidonvilles de la capitale. « Il est adapté aux besoins locaux, note un expert étranger, on le vend cinq gourdes la boule à Cité Soleil. Voyez les enfants des rues, ils mendiaient ou bricolaient pour se payer un repas quotidien. Voilà qu’ils volent pour une boule de crack. »

Les services « anti‑drogue »

À Port‑au‑Prince, le siège du Service des narcotiques des forces années dHaïti sert de décor à d’étranges tableaux vivants: un amas de bidons d’essence entoure deux Colombiens et une Haïtienne fraîchement interpellés. Les deux hommes, qu’on dirait sortis d’un album de Tintin, dépouillés de leurs lacets et de leur ceinture, attendent en silence. L’un, la quarantaine bedonnante, adresse un regard apeuré à son complice aux yeux brillants, coiffé d’une casquette de baseball. Bardés de gourmettes, de montres et de chaînes en or, leurs gardes, colt à la ceinture, déambulent avec l’assurance que confère ici le port des Ray‑bans. Tous affichent les signes d’un luxe insolent dans un pays ravagé par la misère.

Chemise ouverte, mocassins en « croco », le major Louis Cassinir exhibe fièrement la prise du jour: douze kilos de cocaïne. Et dévoile l’identité du Latino‑Américain replet aperçu dans la salle d’attente : Juan Alberto Ramirez Azorio, alias Pedro, chef d’un réseau issu du cartel de Cali. Belle prise. Avec une éloquence théâtrale, le major dénonce la faiblesse des moyens alloués à son service, avant de livrer ses états d’âme: « Je vis comme un prisonnier, menacé en permanence. ]Impossible d’aller à la plage, ou même de voir mes amis. Mais je suis militaire et fier de consacrer ma vie à l’avenir de mon pays»

Le major s’insurge lorsqu’on lui fait part de notre conviction : des officiers sont largement impliqués dans le trafic. Il ne peut l’envisager: « L’armée ne tolère pas les dealers, et révoquerait, le cas échéant, les mauvais éléments. » Pourtant, tout Port‑au‑Prince le murmure, le corps d’élite des « Léopards », où le major Cassinir a servi, s’est reconverti dans la protection des réseaux. Une confidence d’un agent local de la CIA conforte la rumeur: « Si l’institution sévissait vraiment, je pense que les forces années d’Haïti auraient du mal à former une équipe de football… ‑ »

Doit‑on s’étonner des explications du major Cassinir ? « Tous ceux que nous avons arrêtés ces derniers mois, se défend le major avec un sourire ambigu, ont été relâchés contre de fortes  » cautions « . » Celle du Colombien Pedro sera acquittée en dollars, par deux compatriotes de passage sur l’île. L’homme pourra continuer son commerce en Haïti, où il s’est établi depuis quatorze ans. Il a même pignon sur rue, installé sur les hauteurs chic de Pétionville.

Reste à comprendre pourquoi les militaires qui protègent les trafiquants ont arrêté cet homme. « Sans doute n’a‑t‑il pas respecté les règles du jeu, à moins qu’il ait tardé dans les paiements. » L’explication, sous couvert de l’anonymat, émane d’un trafiquant de drogue colombien, familier d’Haïti, et rompu aux « pratiques » des militaires. Quelques rhum-coca plus tard, cet employé du cartel de Cali se fait menaçant : « Si tu parles à quiconque de notre conversation, ou si tu écris ce que je te raconte, tu es un homme mort. » Puis, il lâche à nouveau quelques confidences : « Haïti est une  » passoire « . La drogue rentre et ressort partout. Ni surveillance ni répression. » Suit un constat dans un éclat de rire : « Les militaires pourraient stopper le trafic. À l’évidence, tel n’est pas leur intérêt ! » Sur le bord de la piscine d’un hôtel cossu, la conversation dure le temps de dévoiler les secrets de la Haitian connection. Et de consumer trois bougies.

Les routes des marchands de mort

Début mars 1994, un cargo battant pavillon hondurien, en route pour Port‑au‑Prince, est arraisonné par les garde‑côtes américains. À son bord, cent cinquante kilos de cocaïne. Un autre trajet mène les navires au port dominicain de Pedernales d’où la marchandise atteint par cabotage Marigot, Cayes‑Jacmel ou Jacmel. Dans cette région du sud d’Haïti, concède une source militaire haïtienne, une famille d’origine libanaise supervise les opérations. Au point de contrôler le versement des pots‑de‑vin aux militaires et d’organiser, avec leur aide, l’acheminement de la marchandise vers le nord du pays. « Ce n’est pas le seul lieu d’entrée, précise le Colombien, la majeure partie de la cocaïne entre par avion. Parfois, les sacs sont largués et récupérés au sol par nos équipes. » Largages effectués le plus souvent dans des zones désertiques, voire sur les marais asséchés à l’est de Port‑au‑Prince, propices à l’ouverture de pistes d’atterrissage clandestines. On en recense, de source américaine, soixante‑douze sur le territoire haïtien, dont certaines n’auront servi qu’une fois.

Régulièrement, des bimoteurs « civils » atterrissent tard le soir sur l’aéroport militaire de Port‑au‑Prince. La voie est libre pour les narcotrafiquants, d’autant plus que les registres de Port‑au‑Prince et de Cap‑Haïtien mentionnent exclusivement les vols commerciaux, et non les vols « privés ». Reste alors à réexpédier la marchandise en transit. Des bateaux quittent régulièrement la côte nord d’Haïti, pour les Bahamas, via le Cap, Saint‑Marc, Port‑de‑Paix, voire de petites criques isolées. Tandis que des avions s’envolent pour les Bahamas, la république Dominicaine, ou Miami.

À un échelon plus modeste, les trafiquants utilisent des « mules ». Des femmes, souvent des « marchandes », familières des aller et retour entre Haïti et Miami ou Porto‑Rico. Pour ignorer leur chargement, les agents des douanes touchent jusqu’à trois mille dollars par mois, soit cinq fois leur traitement officiel. À l’arrivée, les « mules » passent la drogue dissimulée dans des statues ou des paquets de café.

L’odeur très forte du café et du vernis qui recouvre les statues déjoue souvent la vigilance des chiens‑douaniers aux aéroports. Parfois, le réseau achète la complicité de bagagistes.

Si les militaires sont « complices », ne jouent‑ils pas, délibérément, un rôle actif dans le trafic ?

A en croire la CIA, les militaires haïtiens n’animent pas le trafic. Ils le facilitent et protègent le « séjour » de la cocaïne dans le pays. « Ils ferment les yeux et ils  » touchent « , nous en sommes certains. » Un récent rapport du Sénat américain affirme que les trafiquants colombiens versent environ 100 millions de dollars par an ‑ environ 580 millions de francs ‑ au lieutenant‑colonel Michel François, chef de la police de Port‑au‑Prince et homme fort de la junte. Est‑ce invraisemblable ? Les hauts gradés affichent un train de vie démesuré au regard de leurs revenus officiels. Comment financer l’achat « cash » d’une villa de 500 000 dollars lorsque la solde mensuelle atteint au mieux 800 dollars ? Suffit‑elle à s’offrir des « 4 x 4 » dernier modèle, que l’on change à un rythme soutenu ? Autre signe d’enrichissement : l’accroissement spectaculaire, remarqué par un diplomate étranger, des dépôts sur les comptes de la succursale locale de la BNP. Refusant de donner dans le blanchiment d’argent sale, la banque française décide de se séparer de cette encombrante filiale en juin 1994. Plusieurs grandes familles haïtiennes se portent aussitôt candidates au rachat.

Officiellement donc, l’armée reste mobilisée contre le « fléau ». Format magazine, une en couleurs, la revue Drogue Info ne manque pas d’allure ni de moyens. C’est l’organe du CICC, Centre d’information et de coordination conjointes du ministère de l’Intérieur et de la Défense nationale, fondé en 1987. Il assure la liaison avec la DEA. Son directeur, le colonel Antoine Atouriste, vante volontiers l’efficacité de son service. Efficacité toute relative quand on sait que 50 tonnes de cocaïne « transitent », par an, sur le sol haïtien. Minimisant l’ampleur du trafic, le colonel insiste sur « l’étroite collaboration » avec la DEA, puis consent à évoquer la colonie colombienne en Haïti: « Ce sont les maîtres du pays. Très bien organisés, ils s’infiltrent partout. Trois cents résidents en permanence dans le pays; entre trente et quarante arrivent et sortent chaque mois. » À leur tète, si l’on en croit les sources américaines, un dénommé Fernando Burgos Martinez, l’animateur du cartel de Cali en Haïti.

« Tout le monde sait qu’il est un des chefs du cartel de Cali, mais nous ne l’avons jamais attrapé avec de la drogue dans les mains et nous n’arrivons pas à rassembler de preuves contre lui justifiant une inculpation ` », déclare‑t‑on à la DEA. L’administration américaine surveille les faits et gestes de Burgos, mais elle est impuissante, surtout parce que les autorités haïtiennes refusent de collaborer et de mettre son téléphone sur écoute. « Le principal trafiquant de drogue colombien, F. Burgos Martinez, continue à vivre et à prospérer en Haïti,  » intouchable  » pour les services antinarcotiques haïtiens », lit‑on dans un rapport confidentiel de la DEA.

À Port‑au‑Prince, le capitaine Jackson Joanis gagne plus d’argent en protégeant le plus grand casino d’Haïti ‑ géré selon la DEA par les narcotrafiquants les plus célèbres du pays ‑ qu’à son poste de commandant d’une division redoutée de la police haïtienne. Il perçoit environ 750 dollars par mois comme chef de cette unité connue pour sa brutalité et touche 850 dollars comme « chef de sécurité » du casino de l’hôtel de luxe El Rancho, résidence préférée des trafiquants colombiens qui séjournent en Haïti et notamment de Fernando Burgos Martinez. Joanis affirme qu’il reçoit sa paye mensuelle d’El Rancho en liquide, d’un comptable du casino dont il a oublié le nom. De Burgos, il dit: « Il ne ressemble pas à l’image du trafiquant de drogue du genre Miami Vice. Ce n’est pas le genre de type musclé avec des chaînes en or, des lunettes de soleil et portant un complet tropical blanc. Il est plutôt petit, un peu gros, la cinquantaine. Très gentil et poli, il s’habille discrètement. »

Au domicile de Burgos, un complexe d’appartements de grand luxe à Pétionville, on trouve un imposant matériel d’informatique. On ne lui connaît pas d’amis… si ce n’est des Colombiens de passage pour quelques heures ou quelques jours en Haïti. Un professionnel qui sait vivre relativement discrètement. Mais, sans la complicité de l’appareil de l’Etat et de l’armée, ce gros bonnet de la drogue serait, qui peut en douter, derrière les barreaux.

Le double jeu de la CIA…

Le colonel Atouriste n’est pas très prolixe sur le phénomène Burgos. Il préfère retracer son propre parcours. Il n’est pas peu fier d’avoir été formé au camp militaire américain Fort Benning de Columbus en Georgie. Un vivier où la CIA a recruté maints informateurs latino‑américains. Cinquante officiers haïtiens y sont passés depuis 1946. Parmi eux, les principaux chefs militaires haïtiens qui émargeaient à la CIA jusqu’au coup d’État de 1991.

Pour assurer son emprise sur l’élite galonnée, l’agence de renseignements américaine a tout intérêt à la «pousser» dans le trafic de drogue. Le procédé permet, entre autres avantages, de « déboulonner » les militaires devenus indésirables.

« Normal, il est primordial de pouvoir anticiper les changements dans les sociétés instables », explique le congressman démocrate Robert Torricelli concluant que la quantité et la qualité des informations recueillies en Haïti par la CIA étaient dignes de louanges. La chute du président panaméen Manuel Noriega illustre à merveille cette stratégie de la CIA. Formé à la SOA, « l’école des Amériques » ‑ située à Panama avant de déménager à Fort Benning en 1984 ‑, Noriega, homme de main de la CIA dans les années soixante‑dix, est considéré comme «rentable» pendant de nombreuses années. Avec l’accord des Américains, il trempe dans nombre de scandales. William Casey, directeur de la CIA de 1981 à 1987, l’utilise pour approcher Castro et pour « régler » le problème des « contras » au Nicaragua. Noriega devient vite incontournable. Trop puissant, trop indépendant et jugé « caractériel », les Américains décident de l’éliminer: le leader panaméen est inculpé de trafic de drogue… Pour sa capture, les Américains débarquent en force à Panama. L’opération « Juste Cause » fait plus de 400 morts. Le général en savait‑il trop ? Dans un entretien accordé au réalisateur Oliver Stone pour l’hebdomadaire The Nation, au centre pénitentiaire de Miami, le prisonnier Noriega déclare : « Les États‑Unis se sont retournés contre moi parce que j’ai refusé leurs conditions Politiques… Ils ont compris que je n’étais plus le même homme et la CIA en a conclu que si je ne voulais plus servir leurs intérêts, je n’étais plus des leurs. »

Si les Américains entretiennent des relations avec des militaires brillants et ambitieux, c’est pour pouvoir les « suivre » tout au long de leur carrière. Le général Cédras, en qui Brian Latell, l’« analyste » de la CIA pour les problèmes d’Amérique latine, a vu un « des espoirs les plus prometteurs du groupe de dirigeants haïtiens ayant émergé depuis le renversement de Duvalier en
1986 », fait partie des heureux élus. Depuis lors, le général Cédras est entouré de conseillers tout aussi « brillants ». Un petit Canadien aux cheveux grisonnants joue un rôle important à ses côtés. Lynn Garrison se définit tout simplement comme « un ami d’Haïti ». Il ne dit pas appartenir à la CIA mais avoue avoir des contacts de longue date avec l’agence de renseignements. Il avoue qu’en 1970 il a travaillé « avec les Américains pour renverser le régime libyen de Kadhafi ». Qui est‑il vraiment? Que fait‑il en Haïti? Cet homme « énigmatique » aime jouer avec son image. Il vient de raser sa « célèbre » moustache. On peut l’apercevoir tantôt au quartier général, tantôt dans le bureau du colonel Atouriste ou le soir au bord de la piscine du El Rancho. Chemise verte à fleurs, mallette en cuir souple à la main qui ne le quitte jamais, ce « touriste » aimerait « reboiser le pays afin de le sauver de l’érosion ». Il apprécie également la plongée sous‑marine qu’il pratique avec son « ami Cédras ». En revanche, la joyeuse soirée donnée à l’occasion de la journée des femmes, à quelques mètres de nous, ne paraît pas l’amuser. « Regardez, c’est honteux, irréel. Je suis révolté de voir un tel spectacle alors que les Haïtiens crèvent de faim. » Quant à essayer de le photographier, il est dangereux de le tenter. Un photographe s’est fait arracher son matériel et Garrison l’a prévenu : « J’ai tué des hommes pour moins que cela! » L’homme a l’allure d’un ancien mercenaire ou agent en quête de « retraite au soleil ». Reste à connaître la nature de son « business » avec les putschistes d’une part, les Américains de l’autre.

Mais, si la CIA contrôle les agissements des militaires, il arrive que la situation lui échappe. Les débordements de ses protégés sont fréquents. En 1986, elle crée en Haïti le Service d’intelligence nationale (SIN), supposé l’alimenter en informations sur le trafic de drogue. Cinq ans plus tard, il faudra couper les ponts: des officiers du SIN trempent dans le coupable négoce. Trois anciens chefs du service, les colonels Ernest Prudhomme, Diderot Sylvain et Léopold Clerjeune figurent sur la liste des acteurs du putsch de septembre 1991, dont les avoirs ont été gelés aux États‑Unis. Ils excellaient également dans la répression politique ou la persécution des supporters de Jean‑Bertrand Aristide, élu président dix mois auparavant.

Chef du service de 1986 à 1988, le colonel Alix Silva rédige un rapport accablant. Il établit une liste de dix‑huit noms d’officiers activement engages dans le trafic. Au lendemain du coup d’État de 1991, Silva ‑sera « exfiltré » avec l’aide des Américains. Il vit aujourd’hui caché au nord‑est des États‑Unis. Sa tête, il le sait, a été mise à prix.

Parfois, c’est sur un agent de la DEA que pèsent les menaces. Il a suffi, en septembre 1992, que le « Départment » collabore à l’arrestation d’un officier haïtien du SIN mouillé dans le trafic, pour que son chef sur place, Tony Greco, soit contraint de quitter Port‑au‑Prince. Les Américains sont aussi victimes de leur double jeu. Officiellement, ils aident les Haïtiens à lutter contre la drogue. En sousmain, ils laissent les militaires profiter de la contrebande. Le paradoxe ‑ en est‑ce un? ‑, c’est que la majeure partie de la cocaïne en transit à Haïti est en partance pour les ÉtatsUnis.

« En l’espace de huit jours, confie un agent américain, Washington pourrait tarir l’afflux de cocaïne aux ÉtatsUnis. » Plus des trois quarts de la consommation de « coke » transitent par Haïti. Alors, pourquoi les Américains ne ferment‑ils pas le robinet? « Imaginez l’explosion sociale, si nos sociétés étaient privées brutalement de cocaïne ! » Puis se reprenant: « N’écrivez jamais cela. Nous aurions les moyens de prouver que c’est faux. » La perversité des « politiques » américains cohabite aisément avec le cynisme des militaires haïtiens…

Sujet tabou

En Haïti, la seule évocation du trafic de drogue fait fuir les hommes politiques. Un seul d’entre eux parle sous le sceau du secret: « Le manque de volonté en Haïti reflète celui de la communauté internationale. Sous Aristide, dont je ne partage pas les opinions, il y avait un réel souci de combattre ce fléau. C’est sans doute une des raisons qui ont poussé les militaires à le renverser. Aujourd’hui, ils veulent rester au pouvoir coûte que coûte et continuer de percevoir leurs commissions. » Bilan de ces années militaires : pas un seul trafiquant de drogue n’est arrêté alors que plus de 200 d’entre eux l’ont été lors de l’éphémère passage de Jean-Bertrand Aristide a la présidence.

« Si Haïti est pris en otage par des dealers, l’alternative est simple, explique, en privé, le prêtre‑président alors en exil. Ou bien nous persistons à professer une pédagogie de la résistance visant à inverser ce rapport de force, ou bien nous capitulons. Dès lors, le pays serait livré à la drogue, les insti­tutions promises à l’éclatement. » Dans ce domaine, le pré­sident Aristide dénonce l’ « ambiguïté » de la position améri­caine. Comme son prédécesseur à la Maison‑Blanche, Bill Clinton apporte publiquement son « soutien » à Aristide. Mais, à ce stade des événements, il est problématique de croire que les Américains souhaitent réellement rétablir le président déchu. En attendant son impossible retour, les Colombiens larguent toujours leurs sacs de « farine » sur Haïti, au risque de plonger les paysans du Nord‑Ouest dans un grand étonnement. Les dieux vaudou sont‑ils tombés sur la tête?

Chapitre II

LE RETOUR D’ARISTIDE

1994-1995

L’embargo, toujours renforce, se révèle inefficace. La frontière dominicaine reste une vraie passoire. Seuls quelques pays « amis » semblent persuadés qu’Haïti demeure coupée du monde. L’aéroport est définitivement fermé, mais les échanges entre Saint‑Domingue et Haïti sont bien organisés. Les observateurs de l’ONU, présents en petit nombre aux postes frontières, ne sont pas en mesure de changer le cours des choses.

Les négociations traînent. Les menaces ne suffisent pas pour faire plier les putschistes. Les solutions diplomatiques épuisées, les Américains se décident à intervenir. Le Pentagone s’y prépare. Les Haïtiens aussi. Le président defacto et ses proches menacent. « Nous n’avons pas la bombe atomique, mais nous avons mieux. La magie noire et le sang du sida. Si nous n’avons pas 100 000 fusils d’assaut à distribuer, nous trouverons bien des seringues infectées. » Émile Jonassaint, le chef du gouvernement de quatre‑vingt‑un ans, invoque aussi les esprits du vaudou pour repousser les envahisseurs. Il appelle les « loas » à la rescousse. Il affirme aussi que les Haïtiens préparent déjà des « poudres poisons ». Ogou, le dieu de la guerre, veille. Les soldats y croient. « Nous lutterons et ferons face à l’envahisseur. Les zombies devant et nous derrière. » Le ton est donné. Conquis par la rhétorique nationaliste, 100 000 Haïtiens seraient prêts à se battre auprès des 7 500 soldats. « La propagande en vigueur flatte jusqu’à l’ivresse la fierté haïtienne. On convoque tous les héros du panthéon patriotique » rapporte Vincent Hugeux . En effet, on exhume avec passion et rage les sermons des ancêtres, héros de l’indépendance conquise en 1804 contre les troupes.de Napoléon Bonaparte. « La liberté ou la mort. » Les putschistes ravivent aussi le cruel souvenir de l’occupation américaine qui plongea le pays dans la souffrance de 1915 à 1934. L’humiliation n’a pas encore disparu de la mémoire des anciens. Cédras et ses proches ne semblent pas très inquiets. En ces temps d’embargo total, la maîtrise de trafics avantageux leur assure une aisance financière des plus enviables. En attendant une éventuelle issue à la crise, autrement dit leur départ, qu’ils jugent de plus en plus incertain, ils amassent un magot qui leur assurera des jours paisibles.

Dans l’entourage de la junte, rares sont ceux qui paraissent prendre au sérieux la menace d’une intervention étrangère. L’attitude la plus flagrante est leur décontraction apparente. Le commandant en chef, Raoul Cédras, s’adonne chaque week‑end à sa véritable passion, la plongée sous‑marine. Le colonel Michel François fait son jogging tous les matins. Quant au chef de l’état‑major, le général Philippe Biamby, il prend le temps de se balader en ville, sans que l’on puisse déceler le moindre signe d’inquiétude. Ont‑ils des garanties de Washington? Les Américains s’interrogent. Que doivent-ils faire ? Leur position n’est pas des plus simples. Ils ne peuvent plus se retrancher derrière l’argumentation puérile, déjà émise après le coup d’État du 30 septembre 1991, qui consistait à ne rien faire parce qu’Aristide était un « dangereux psychopathe ». Ce prétexte pour ne pas intervenir avait été monté de toutes pièces par la CIA, dont les agents s’étaient chargés de diaboliser le président haïtien. Cette fois, le régime des putschistes a eu le temps de démontrer son « talent » dans l’art de la persécution. N’est‑ce pas suffisant pour effectuer un virage à 180 degrés ? Non, l’inverventionnisme américain doit avant tout être perçu comme une réponse à des préoccupations relevant de la politique intérieure américaine.

Des « hordes » de réfugiés s’enfuient encore de Haïti sur des embarcations de fortune. Le gouvernement de Washington, et sans doute une majorité de citoyens ne veulent en aucun cas accueillir tous ses boat people qui se déversent sur les côtes de la Floride du Sud. Le refus de l’ « invasion » est catégorique à Washington. L’arrivée d’une main‑d’oeuvre immigrée est certes profitable à l’industrie américaine mais tout afflux massif de réfugiés pose problème. Les États‑Unis semblent prêts à tout entreprendre pour arrêter le phénomène. Une réaction qui suscite la colère d’Aristide. Le président en exil dénonce le « mur de Berlin flottant ».

Pendant que les Américains tergiversent, les paysans meurent

Les paysans et les pauvres des zones rurales et urbaines se battent pour survivre. Ils sont en colère, et plus déprimés que jamais. Les mouvements paysans sont liquidés à l’image du MPPC, dans le plateau central. Les soldats et d’autres représentants de l’État tuent les chefs clés des mouvements. « Americas Watch », une délégation d’observateurs ainéricains, a pu constater l’ampleur des dégâts. « Quand nous visitâmes les quartiers généraux du MPP, le 2 juillet, les immeubles étaient tels que l’armée les avait laissés en octobre dernier. Pas une porte ne restait dans ses charnières. Plus un meuble dans les pièces. Chaque immeuble était sens dessus dessous, avec des piles de papiers froissés, posters, livres et dossiers. Dans le plateau central, la répression contre le peuple affilié au MPP était apparue si intense que personne n’avait osé nettoyer, encore moins utiliser les immeubles par peur d’être répertorié comme sympathisant du MPP et mis en prison»

La répression ne fait effectivement pas dans la demi-mesure. Elle alourdit un climat qui devient intenable pour les pauvres gens. « La montée en flèche du prix du fuel, qui est à plus de seize dollars le gallon, a rendu la tâche difficile aux paysans pour transporter leur riz et leurs bananes dans la capitale, ou pour obtenir des produits comme l’huile de cuisine ou des piles. De village en village, les gens vivent pratiquement  » la main à la bouche « . Ils affirment qu’ils sont déterminés à endurer l’embargo, sans se plaindre, si cela faisait revenir leur président . »

Qu’est‑ce qui motive Clinton ?

À une large majorité, douze voix pour et deux abstentions, le Conseil de Sécurité de l’ONU autorise les États‑Unis à utiliser la force, si nécessaire, pour rétablir la démocratie en Haïti. Le président américain bascule en faveur de l’intervention militaire en se remémorant le poids électoral de la Floride, particulièrement peuplée et plutôt disposée à voter à droite. Un État qui subit l’immigration haïtienne de plein fouet et pourrait poser de sérieux dommages au parti démocrate lors des prochaines élections de 1994. Par ailleurs, le président Clinton craint que le renvoi des boat people à la mer ne choque les parlementaires noirs. Or, il a besoin de leurs voix au Congrès pour faire adopter sa réforme du système de santé américain. La décision est apparemment irréversible. Les États‑Unis prennent le risque du bourbier haïtien.

Les généraux haïtiens continuent pourtant à narguer les États‑Unis. Ont‑ils conscience que la décision américaine est prise ? Le souci du Pentagone est d’éviter une opération coup de poing. L’opinion américaine ne se remet toujours pas des images humiliantes de l’expérience somalienne. Il faut à tout prix éviter que ce scénario ne se reproduise. Le jeudi 15 septembre, au cours d’un discours retransmis sur toutes les chaînes de télévision nationales, Bill Clinton annonce au peuple américain que « le temps des généraux de la junte haïtienne est fini », et qu’il « leur reste à peine quelques heures pour quitter le pouvoir ». Pour autant, le président américain abat sa dernière carte face au « plus violent régime de l’hémisphère ».

Le dimanche 18 septembre 1994, trois émissaires américains débarquent à Port‑au‑Prince. Un trio hétéroclite. Il s’agit de l’ex‑président Jimmy Carter, du général Colin Powell, l’ancien chef d’état‑major de l’armée pendant la période de la guerre du Golfe (et futur présidentiable) et du sénateur de Georgie, Sam Nunn. Un bras de fer de sept heures s’engage. En ce dimanche ensoleillé, la télévision CNN consacre un « non‑stop » à la crise haïtienne. Rien ne filtre des ultimes négociations. L’un des trois émissaires, Sam Nunn, raconte par la suite : « Carter avait son ordinateur sur les genoux pour rédiger les termes de l’accord au fur et à mesure de la discussion. Puis nous en rendions compte au président Clinton sur une ligne réputée sûre, mais avec la très nette impression que les Haïtiens maîtrisent suffisamment la technologie des écoutes téléphoniques pour savoir tout ce qui était dit! Jusqu’à ce que le général Biamby vienne annoncer à Cédras qu’une armada d’avions est en route pour bombarder Haïti. »

En effet, las d’attendre, le ministre de la Défense, William Perry, donne l’ordre, à 18 h 05, de faire décoller les C‑141 de la base de Fort Braggs. À leur bord, les parachutistes de la fameuse 82′ division aéroportée. L’unité des coups durs. C’est in extremis que Clinton intervient pour qu’ils rentrent sur leurs bases. Les généraux haïtiens viennent de céder. Ils acceptent les propositions des Américains. Il n’y aura pas d’affrontement.

Good morning Haïti

Le lendemain, 9 h 30. Les opérations commencent. Les Haïtiens ne se privent pas du spectacle. Stupéfaits, ils regardent les Blancs déguises jouer à la guerre contre un ennemi imaginaire. Un débarquement grotesque. Les hélicoptères « Chinhook » lâchent des GI’s par milliers. Tenues de camouflage, visages noircis, fusils‑mitrailleurs à la main, les soldats s’installent en position de tir derrière leur paquetage sitôt largué.

Les photographes et cameramen slaloment entre ces combattants. Rampant pour avancer, les soldats donnent l’impression d’être les acteurs d’un fictif « Apocalypse Now 2 ». Les Haïtiens applaudissent à tour de bras. La plupart ne peuvent dissimuler leur rire. Une chose est certaine, ils ne sont pas près d’oublier ce spectacle « grandeur nature » susceptible de faire rever tous les producteurs d’Hollywood. Mardi 20 septembre 1994. Vingt‑quatre heures après le débarquement des soldats de l’Oncle Sam, première manifestation pro‑Aristide. Elle dégénère vite en soutien aux marines. La police haïtienne intervient pour disperser la foule. Elle fait une première victime. Un innocent qui vend des poissons sur le trottoir. Quand les militaires américains arrivent, le jeune homme baigne dans son sang. La tension monte d’un cran. Les marines sont nerveux. Pourtant, la population leur réserve un accueil plutôt chaleureux. On assiste à plusieurs manifestations spontanées de soutien aux troupes d’intervention. Les jeunes n’hésitent pas à monter dans les camions militaires et sur les blindés. Ils entonnent des chants triomphants, en agitant les bras et en formant, en signe de victoire, un « V » avec leurs doigts. Comme un « remake » de la libération de Paris par les forces alliées. Toutes ces manifestations de sympathie touchent les Américains. Lors de sa première conférence de presse, le colonel Barry Willey, porte‑parole de l’opération « Soutenir la démocratie », remercie vivement la population. Les États‑Unis envisagent toutes les hypothèses pour que leur intervention se déroule au mieux. On apprend ainsi, quelques jours plus tard, qu’un commando américain s’apprêtait à kidnapper le général Cédras en cas d’échec des négociations de la dernière heure. Le capitaine Chris Hughes du corps d’élite des Rangers le confirme. Les membres de ce crack teams, équipés de matériels sophistiqués et informés par des rapports des services secrets, sont en Haïti depuis plusieurs semaines. Une centaine d’hommes. Ils n’ont pas eu à intervenir.

Quelques incidents éclatent pourtant. Au Cap, les marines ouvrent le feu à plusieurs reprises. Une dizaine de policiers haïtiens sont tués. Une nouvelle étape commence. Il faut désarmer les soldats et les miliciens. Lourde tache.

Le colonel Michel François part pour Saint‑Domingue où se trouvent déjà de nombreux militaires putschistes. Pendant ce temps, les généraux Cédras et Biamby préparent leurs valises. Le 10 octobre, ils remettent leur démission. Le 13, ils partent pour le Panama. Exil ou nouvelle affectation?

Le retour du messie

15 octobre 1994. Titid II reviens. Après plus de 1000 jours d’exil, Jean‑Bertrand Aristide, le président démocratiquement élu, est de retour en Haïti. Le même jour, l’embargo est levé. La vie reprend. Haïti semble pouvoir sortir enfin de l’impasse. Cependant, l’honneur des Haïtiens est entaché d’une alliance peu respectable, eu égard à l’histoire du pays. Titid rentre avec les Américains dans ses bagages. Le « prophète » a‑t‑il changé ? Il est sous influence. À son retour d’exil, son comportement contraste avec le jeune prêtre des bidonvilles qu’il était autrefois. Pourtant, l’émotion est bien présente quand, à midi dix, le président apparaît à la porte du Boeing 707 américain. En hélicoptère, il regagne le palais national. L’idole des pauvres s’approche d’une épaisse vitre blindée pour prononcer son premier discours. La politique haïtienne est absente de cette allocution qui dure presque une heure. Aristide donne surtout l’impression de s’exprimer à l’intention de ses hôtes étrangers. Puis il tient à rassurer les Américains. Il prononce un plaidoyer pour la réconciliation. En coulisses, les conseillers américains contrôlent tout. Le président haïtien donne le sentiment d’être sur un nuage. Heureux de retrouver son fauteuil. On peut lire une petite déception dans le publie qui se disperse en multiples cortèges carnavalesques a travers les rues de la capitale. Sous haute protection et surveillance militaire américaines.

Aristide prend deux décisions rapides. Il dissout les forces armées et nomme un Premier ministre. Le 6 novembre 1994, le Parlement approuve le choix du président. Smarck Michel devient Premier ministre. Cet homme d’affaires cinquante‑sept ans est un proche du président. C’est un modéré parmi son entourage. L’homme est respectable, mais on peut s’interroger sur sa liberté d’action. Sans jamais citer les États‑Unis, il rappelle d’abord « qu’Haïti s’est engagé dans la voie de l’ouverture économique  ». Il annonce clairement ensuite que le pays « doit s’engager dans la voie ultralibérale » ‑ dont les méfaits sociaux sont reconnus. Abordant aussi la question des privatisations, il déroute les observateurs. Des pans entiers du secteur public haïtien vont passer aux mains de capitaux privés. Un message qui clarifie les choses. Les États‑Unis ont remis Aristide à la tête de l’État avec l’espoir de replacer sous tutelle l’ancienne perle des Antilles.

Le pays dépend entièrement des bailleurs de fonds. Des ajustements structurels dans l’économie haïtienne en sont la contrepartie naturelle. Les productions locales n’ont désormais plus aucun avenir. Peu importe de créer les conditions d’un développement. Les Américains entendent rationaliser l’utilisation d’une des main‑d’oeuvre les moins chères du monde.

Pour y parvenir, les interlocuteurs obligés des Américains sont les quelques grandes familles du pays. De son côté, Aristide sait qu’il lui faut pactiser avec cette grande bourgeoisie, à défaut de la convertir à ses idées. Une nouvelle alliance se met en place. Le retour d’Aristide marque une rupture. Il est lourd de conséquences pour la vie politique et économique du pays. Le petit homme du peuple joue le jeu de Washington… Aristide appelle chaque grande famille au téléphone. Il les invite à se rencontrer. « Le message était clair, se souvient Gilbert Biggio. Aristide a tout d’abord reconnu ses erreurs du passé. Puis, il nous a encouragés à faire la révolution économique.  » Je ne peux la faire sans vous. Aidez‑moi pour aider le peuple et le pays « , nous a‑t‑il dit individuellement. À l’exception d’une grande famille qui n’a toujours pas donné sa réponse, nous avons tous accepté. Pour la première fois, il y a une réelle volonté de développement. Les États-Unis vont tenir leurs engagements’ », conclut‑il. Plus que jamais, les grandes familles ont la destinée du pays entre les mains. Seront‑elles le fer de lance du retour de la démocratie et d’un renouveau économique en Haïti ?

 

 

 

Les grandes familles sous influence américaine

Les trois ans d’embargo ont fait chuter les bénéfices de ces grands bourgeois. Leur exaspération a été transmise à Washington par leurs hommes de loi américains. Cette élite haïtienne que Clinton observe comme une alternative assez tentante à Aristide possède de sérieux appuis à Washington. On ne peut donc sous‑estimer son rôle de lobbyiste. Par leur puissance, deux grandes familles sont notamment au‑dessus du lot. Les premiers, les Brandt, sont originaires de la Jamaïque. Ils continuent d’ailleurs d’y maintenir leurs affaires. En Haïti, ils ont des intérêts dans l’huile comestible, les volailles et la banque. Ils ont aussi été au coeur d’un projet de sauce tomate financé par la Banque mondiale. Enfin, ils ont hérité de possessions dans le café, le textile et l’automobile. Les Brandt ont longtemps été considérés comme la famille la plus riche d’Haïti. Comme le raconte un diplomate haïtien au journaliste James Ridgeway parlant de O.J. Brandt, descendant de la famille, « il est le faiseur de roi ». Quand Papa Doc voulait construire une route pavée dans la basse ville de Port‑au‑Prince, O.J. Brandt réunissait l’argent pour la financer. Si Duvalier avait besoin de liquidités, à l’occasion, il stoppait O.J. Brandt a la frontière. Il ne lui permettait de revenir qu’après avoir acheté pour 2 millions de dollars de bons du Trésor du gouvernement’. À Washington, Gregory Brandt utilise les services du juriste Robert Mc Candless, qui a aussi représenté, en intérim, le gouvernement issu du coup d’État. Bloqués par l’embargo, les Brandt ont noué des liens étroits avec le FRAPH, le front civil de l’armée, et ont récemment débattu de l’achat d’une banque à Paris . En deuxième position, juste après les Brandt, se placent leurs « ennemis », les Mews ‑ prononcer Meuse. Ils regnent en maître sur le sucre, la fabrication de chaussures, les plastiques, les détergents, et dans les travaux de montage. Accusés d’avoir soutenu le coup d’État, ils affirment avec colère que la famille s’oppose aux lois militaires et soutient Aristide. Vivant confortablement dans leur propriété rose bonbon de Dilido Island, entre Miami et Miami‑Beach, ils n’ont, apparemment, jamais essayé de combattre le retour d’Aristide. À la différence des autres familles haïtiennes prédominantes, les Mews ont pris conscience que les choses doivent changer en Haïti. Ils se préoccupent plus qu’autrefois de politique. L’homme de loi des Mews à Washington est Greg Craig. Avec l’aide de ce juriste, ils ont établi une filière noire pour obtenir des soutiens américains. Craig, partenaire de la prestigieuse société d’avocats Williams & Connolly, dirige aussi un groupe d’avocats basés à Washington. Il a étudié à l’école de droit de Yale avec les Clinton, bien qu’il prétende « n’avoir jamais parlé d’Haïti au président’ ».

Tout le monde ne partage pas l’enthousiasme de Craig pour les Mews. Charles Kernaghan. et ses associés du National Labor Committee ‑ Comité national du travail ‑ ont publié un réquisitoire cinglant contre l’élite haïtienne et leurs partenaires américains. Ils vilipendent les Mews, clamant qu’ils se sont enrichis en faisant de la contrebande de ciment lors de l’embargo. Craig nie les accusations de Kernaghan qui rapporte également que cette famille est derrière le coup d’État de septembre 1991. Non seulement c’est faux, a répondu Craig dans une lettre traitant d’action légale et demandant que la publication du rapport soit stoppée, mais « la famille Mews s’est activement engagée, quelquefois à la demande du gouvernement américain, dans le processus visant à restaurer un gouvernement démocratiquement élu en Haïti ».

Après les Brandt et les Mews, on trouve quelques autres « grandes familles » dont le poids économique permet de jouer un rôle influent certain. Reste à savoir s’ils opèrent vraiment, comme certains l’affirment, des pressions de nature politique à Washington. La famille Accra a commencé dans le textile. Elle détient le monopole de la fabrique de tôles. Elle fabrique des emballages et importe la farine depuis la fermeture de la minoterie d’État.

La famille Biggio est l’une des rares familles juives du pays. Grand ami de la France, Gilbert Biggio est aussi le consul honoraire d’Israël en Haïti. C’est un homme d’affaires qui a le monopole de l’acier et de la fabrication sidérurgique. Allié à la famille Accra, Gilbert Biggio a racheté l’agence de la BNP à Port‑au‑Prince. Parmi les familles les plus influentes, on cite souvent la famille Behrmanns, concessionnaire dans l’importation d’automobiles et de camions, et la famille Madsen, d’origine danoise, qui détient des participations importantes dans le café et la production de bière. Lillian Madsen est aussi une grande et bonne amie de Ron Brown, secrétaire du Commerce de Clinton. Les « bonnes » relations entre Washington et Haïti sont encouragées par les proches du président Clinton. Les Américains disposent de « relais » économiques en Haïti. « Cherchez qui contrôle le ministre des Finances et vous saurez qui gouverne vraiment  », explique un baron du duvaliérisme.

L’oligarchie haïtienne possède aussi des ramifications en république Dominicaine. Certains ont établi des liens étroits avec les militaires dominicains, qui leur auraient permis de récolter de gigantesques profits sur les ventes d’essence. Par exemple, rappelle un diplomate, « une famille payait ses dettes à un homme d’affaires en lui faisant traverser la frontière vers une maison privée dont la piscine était pleine d’essence, et où il pouvait remplir son camion ». Ces pratiques sont souvent l’oeuvre de familles qui essayent de faire fortune, par n’importe quel moyen, pour arriver au niveau des plus puissants. Telle serait la stratégie de Gérard Khawly. « Il passe pour le premier contrebandier dHaïti, et l’embargo aidant, il aurait édifié une fortune estimée à quelque 50 millions de dollars et officie sur le marché parallèle des devises », explique Christian Lionet, le spécialiste des Caraïbes au journal Libération .

Pour toutes ces familles, les bidonvilles de Cité Soleil sont plus éloignés que Miami , Paris ou Washington. L’invasion américaine est une aubaine pour ces hommes de lucre, désireux de s’enrichir encore plus. Certaines grandes familles louent des terrains à l’armée américaine et s’efforcent de donner une « bonne image » à l’occupant. Leur avenir en dépend. Le retour d’Aristide complique sérieusement la situation de l’Église catholique. Pourtant, le président, autrefois très critique envers la hiérarchie catholique, fait le premier pas vers une réconciliation. Officiellement, il n’a toujours pas renoncé au sacerdoce. Le droit canon considère que la prêtrise est incompatible avec l’action politique. Deux jours après son retour, Titid écrit à Mgr Gayot. Il se déclare favorable à sa réduction à l’état laïque. Un signe d’apaisement, même si les conflits subsistent entre les deux parties. La fracture entre l’Église officielle et le peuple s’est creusée. En reconnaissant le régime des putschistes sanguinaires, le Saint‑Siège a sans doute commis l’irréparable aux yeux de bon nombre d’Haïtiens. Pour le plus grand profit des Eglises protestantes, en vogue dans le pays, mais aussi de plusieurs sectes en provenance des États‑Unis.

Washington complote

Washington, 8 décembre 1994. Chez «Toto» Fritz Cinéas, frère d’Alix, l’ancien ambassadeur américain Ernst Preeg, membre influent du parti républicain, réunit quelques anciens ministres de Duvalier. Responsable d’Haïti au centre d’études stratégiques de Washington, il « pense » la politique à long terme. Tous les invités n’ont pas répondu « présent » à l’appel. Le ministre Estimé a tourné la page et consacre son temps à des missions, entre autres, pour le compte de l’USAID. Il se trouvait, il y a peu de temps, au Burundi. Il ne vient pas au rendez‑vous. Frantz Merceron non plus. À ses yeux, ce genre de rencontre est prématuré. Chef d’entreprise, il a suffisamment à faire en France. En outre, il consacre une partie de son temps à une ONG, spécialisée dans l’enfance malheureuse. La nouvelle peut faire sourire ceux qui connaissent son goût prononcé pour la politique. L’ancien ministre des Finances haïtien s’est reconverti dans l’humanitaire. Le procès‑verbal numéro 56 de cette ONG sise à Paris, qui compte de nombreux projets d’aide à l’enfance, l’atteste. Frantz Merceron est « chargé d’étude » et doit surveiller le bilan financier de l’association. Ironie du sort, le trésorier de cette association humanitaire n’est autre que Max Bourjolly, l’ex‑numéro deux du parti communiste haïtien.

À Washington, Jean‑Marie Chanoine et Alix Cinéas répondent présents à l’invitation de Preeg. Discussion amicale ou analyse stratégique ? L’ambassadeur Preeg reste des plus prudents. Il les encourage cependant à créer, dans l’avenir, un parti politique qui pourrait obtenir le soutien du parti républicain.

Les États‑Unis persévèrent‑ils dans leur volonté de placer des pions sur l’échiquier politique haïtien? Un observateur politique se demande d’ailleurs « si l’une des raisons du soutien de la CIA au putsch de 1991, ne serait pas la reprise de l’influence française sur le pays ». Aristide, qui avait donné des gages de sympathie à la France, a aujourd’hui changé de camp. Il se retrouve sous la haute protection de l’Oncle Sain.

Les Etats‑Unis jouent sur plusieurs tableaux

Le 31 mars 1995, Bill Clinton se rend en Haïti. Les casques bleus de la Minuha, mission des Nations unies pour Haïti, remplacent les soldats américains. Le président Clinton préside les cerémonies. Il surprend son auditoire en reprenant les slogans de Lavalas en créole. Une première. L’aristidomania serait‑elle contagieuse? Le message est là. Clinton soutient Aristide et le parti Lavalas. Les Haïtiens ne sont pas dupes. Même s’ils restent un instant sous le charme de l’événement, ils redoutent l’emprise du grand voisin sur leur petit pays. Dérive du clan Lavalas ou habile jeu des Américains pour écarter le « prophète » de son peuple?

Pour Aristide, le premier grand rendez‑vous électoral a lieu le 25 juin. Mauvaise impression. Les élections législatives sont marquées par de nombreuses irrégularités administratives. Elles font hurler tous les partis à l’exception de Lavalas. Le dimanche 17 septembre, le second tour ne suscite pas l’enthousiasme espéré. Le taux d’abstention est très élevé. Dans certains bureaux de vote, le taux de participation n’atteint pas les 20 %. Une gageure pour la démocratie et une vraie déroute pour Lavalas quand on se souvient du score d’Aristide lors de son élection.

Privatisations ou vente du pays ?

Cette peu glorieuse victoire d’Aristide et de ses partisans n’est pas pour autant une réelle surprise. Les Haïtiens sont manifestement préoccupés. En cette fin d’année 1995, leur interrogation principale porte sur le programme de privatisa­tions annoncé par le gouvernement. La question est présente sur toutes les lèvres. Un véritable débat national est engagé. Le peuple, dont il ne faut pas sous‑estimer la conscience politique, se sent concerné. Des manifestations ont lieu à Port‑au‑Prince. Des pneus brûlent devant le palais national. Nouveau revers pour Aristide, le peuple se retourne contre lui. Il a certes gagné le soutien des Américains et des grandes familles, mais il se coupe progressivement de la base. Un risque calculé dans la mesure où Aristide n’a pas à faire face à une opposition virulente, puisque quasi inexis­tante. Serait‑il devenu un politicien calculateur? En atten­dant les présidentielles prévues pour la fin de l’année 1995, les réformes ne progressent que très lentement. L’issue de l’échéance à venir apparaît bien imprévisible. Seule certi­tude, l’heureux élu héritera d’une situation pour le moins difficile.

Chapitre III

ENTRE CHAOS ET ESPOIR

1995…

L’histoire haïtienne peut donner le tournis. La décennie qui s’achève, inaugurée par la chute de Jean‑Claude Duvalier, illustre la complexité des événements, les difficultés qui se dressent sur la route de ceux qui cherchent à pénétrer les dessous de l’histoire.

Au terme de ces dix ans mouvementés, il n’y a pas de « gagnants ». Seulement un perdant, le peuple haïtien. Une décennie qui restera comme celle d’un épouvantable gâchis. La chute d’une dynastie d’un autre âge autorisait tous les espoirs de changement. Rien de vraiment positif n’a pu être entrepris. Les Haïtiens n’en sont pas les seuls responsables. Les grandes puissances, et notamment les États‑Unis, ont largement démontré que leur capacité de nuire était égale à leur aisance dans l’art de la manipulation.

La France, pour sa part, enfin, a marqué de son empreinte cette décennie haïtienne. Malheureusement, l’État français agit le plus souvent dans l’ombre pour contester la suprématie américaine sur l’île. On peut volontiers admettre que la France a l’ambition d’orienter le pays vers une politique de développement qui n’a rien de comparable avec le néocolonialisme américain. Mais a‑t‑elle réellement les moyens de ses ambitions?

L’accueil en France de Jean‑Claude Duvalier, en 1986, n’avait pas manqué de surprendre l’opinion publique. Le Vatican serait intervenu en ce sens, on l’a dit, et plusieurs sources le prétendent. Duvalier lui‑même le croit. Le Saint-Siège nie une quelconque intervention. Chargé des relations avec les Etats au Vatican, Mgr Tauran affirme que « la secrétairerie d’État n’a effectue aucune intervention auprès du gouvernement français pour favoriser l’exil en France du président haïtien’ ». Baby Doc n’avait pas besoin de la charité d’une Église qui ne ménageait pas son régime. Il était suffisamment proche de la France, malgré la présence des socialistes au pouvoir. N’était‑il pas, dans ces conditions, fort opportun pour l’État français de ménager un si jeune ex-président francophile ?

Le retour de Duvalier

« Même si, aujourd’hui, je suis toujours en France, ma principale préoccupation est l’avenir de mon pays . » L’entretien que Jean‑Claude Duvalier m’a accordé n’est pas anodin. L’homme se dévoile si peu qu’il était manifestement dans son intérêt, aujourd’hui, de s’exprimer.

L’ancien président, qui n’affectionne pas particulièrement les rencontres avec la presse, avait un message à faire passer. Pour le moins, il souhaitait sortir de l’ombre. La dernière interview qu’il ait accordée remonte à 1982; notre confrère de Time Magazine, Bernard Diederich, en avait eu la possibilité. Aujourd’hui, où en est Baby Doc ? « Je n’ai plus le train de vie d’autrefois. Je vis très simplement avec ma mère, sur la Côte d’Azur 3 « , lâche‑t‑il avant de nous inviter à parler de l’avenir. Cet entretien coïncide avec l’amorce d’une période nouvelle pour Haïti. En février 1996, dix ans après la chute de Baby Doc, les duvaliéristes ne seront plus exclus de la vie publique haïtienne. Comme d’autres, Jean‑Claude Duvalier va rentrer dans son pays. Ses propos le laissent entendre : « Mon plus cher désir est de pouvoir rentrer en Haïti avec ma mère, et de faire découvrir à mes deux enfants, Nicolas et Anya, leur terre natale . »

Nous en sommes persuadés, Jean‑Claude Duvalier rentrera prochainement en Haïti. Reste à se demander si cet homme qui « ne voulait pas être président » souhaitera jouer demain un rôle politique. On ne peut l’exclure. Sa faiblesse et son irresponsabilité ne plaident pas en sa faveur.

Cet homme encore jeune, souvent trahi par ses proches, aimerait‑il prendre une revanche sur l’histoire ? Observateur attentif de la vie de son pays, on peut penser qu’il fera bientôt connaître ses projets pour Haïti. Les réformes économiques entreprises, notamment les privatisations, lui semblent contraires aux intérêts du peuple haïtien. Un autre argument rend son éventuel retour crédible. Une nouvelle donne existe dans le pays. L’armée est dissoute et les macoutes sont désorganisés. Pour la première fois en Haïti, le pouvoir civil peut, demain, incarner le véritable pouvoir. Pour n’avoir eu qu’une très faible marge de manoeuvre pendant ses quatorze ans d’exercice à la présidence, Jean‑Claude Duvalier le sait plus que quiconque. Reste à savoir si cet homme est porteur d’un véritable projet politique. On peut se montrer sceptique. D’autant que par le passé, il a montré ses limites politiques et son incompétence. « Je demeure toujours fidèle à mes idéaux, et j’ai foi en ce peuple, qui durant ces dernières années a été trop éprouvé . » Duvalier espère encore « qu’après ces pénibles épreuves les Haïtiens sont conscients de l’impérieuse nécessité de s’unir afin de relever les multiples défis ». Et si l’ex‑président à vie voulait redevenir président ? Quoique cela ne semble pas être le plus important à ses yeux, il n’est pas illogique d ‘ en faire un prétendant sérieux pour les élections présidentielles de l’an 2000.

L’avenir d’un autre ancien président pose également question. Que fera demain Jean‑Bertrand Aristide ? « Je souhaite rester chez moi, en Haïti, après ces trois ans d’exil. Me consacrer à la lecture, à l’écriture. Je ne serai pas indifférent au drame des enfants des rues et chercherai a être utile à mon peuple’. » L’ex‑prêtre, inéligible, en 1995, conformément à la Constitution, laisse cependant « les portes et les fenêtres ouvertes » pour l’an 2000. Mais, pour le peuple haïtien, les enjeux de la décennie qui s’ouvre vont bien au‑delà du destin de ces deux personnali­tés, quel que soit leur rôle futur. La misère est là, qui réclame l’urgence d’une nouvelle politique économique.

La stratégie de Washington

L’histoire d’Haïti est universelle, écrivions‑nous dans l’avant‑propos de ce livre. Elle est effectivement révélatrice de la plupart des maux des pays pauvres. Les deux tiers des habitants de la planète seront, d’ici quarante ans, concentrés dans les villes. Du Nord au Sud, la population humaine vit chaque jour un peu plus nombreuse dans des mégapoles, souvent au seuil de crises écologiques majeures. Un phéno­mène inquiétant, pour l’environnement, pour l’homme, coupé de ses racines et plongé dans un milieu hostile. L’asphyxie de l’économie haïtienne, à l’image de tous les pays contraints par les instances monétaires internationales à opter pour une politique de « croissance fondée sur l’expor­tation », n’a fait que renforcer la misère et la dette du pays. Particulièrement, l’exode rural massif affaiblit, menace la survie même de la petite paysannerie traditionnelle. Mais pourquoi les paysans quittent‑ils leur terre ? Cette migration « spontanée » vers les villes ne résulte pas seule­ment d’une attirance pour la modernité de la ville, mais aussi selon un calcul qui se veut rationnel, au moins à court terme. Les experts de la Banque mondiale ont montré que les villes font preuve (parfois, pas toujours … ) d’une certaine efficacité dans la lutte contre la pauvreté et la précarité. Diverses études montrent que, dans le tiers monde, le revenu des ruraux reste inférieur de 25 % à 50 % à celui des citadins. Une situation valable au début des années quatre‑vingt‑dix, même si la courbe a tendance à s’inverser. En Haïti comme ailleurs, les ruraux, qui bien souvent n’arrivent plus à conserver leurs parcelles de terre, notamment face à la désorganisation des marchés agricoles, sont en quête d’un nouvel Eldorado. D’une ville providence censée fournir emploi, écoles pour les enfants, services de santé, mais aussi la sécurité, tant l’isolement en campagne se révèle périlleux face à la recrudescence de pillards et de bandes armées. Le phénomène s’était spectaculairement accru en Haïti, à la suite de l’embargo qui a paralysé les circuits de distribution et les transports. Les efforts de coopération des Européens, en direction du secteur agricole, ne peuvent pas contrebalancer cette tendance. Pourquoi ?

Mais cet exode est aussi le fruit d’une stratégie perverse, comme l’explique l’économiste américaine Susan George. « Faire en sorte que le paysan soit privé de moyens de subsistance et l’évincer de sa terre libère beaucoup de main d’oeuvre bon marché pour les secteurs travaillant pour l’exportation  », estime‑t‑elle. Haïti se trouve au coeur de cette logique. Pris au piège de la dette, l’État haïtien doit, pour s’en sortir, jouer la carte des exportations. Il lui faut dès lors produire au moindre coût et rentrer dans la guerre économique mondiale. Et, selon les prévisions de la Banque mondiale, « le futur à long terme d’Haïti sera urbain. Cette migration de la campagne vers la ville soutiendra le développement d’ateliers de montage, d’ateliers artisanaux, et autres activités citadines exigeant beaucoup de main‑d’oeuvre, compatibles avec une croissance fondée sur l’exportation ».

Mais cette logique commandée par Washington n’est‑elle pas suicidaire ? Quels effets pervers engendrera, dans quelques décennies, cette désastreuse politique menée en Haïti comme dans un grand nombre de pays en voie de développement ? Certains experts, dont Claire Brisset, de l’Institut d’études politiques de Paris, ne cachent pas les risques d’explosion urbaine dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord.

Dans la majorité des cas, les migrants venus de la campagne s’agglutinent dans les bidonvilles, sur des terrains bien souvent impropres a la construction. Sans égout, ni eau potable, ni électricité, ils édifient eux‑mêmes leur propre maison, un habitat essentiellement précaire: pauvreté, hygiène déplorable, pollution record, et sécurité très aléatoire sont le lot commun. « C’est là, écrit Claire Brisset, qu’éclôt l’économie informelle, économie  » au noir « , créatrice et imaginative souvent, mais qui laisse à l’évidence les travailleurs dénués de toute protection. Le travail des enfants, la prostitution, le trafic de drogue y constituent des sources importantes de revenus, comme l’est d’ailleurs une véritable économie de la délinquance. »

Autant de raisons qui incitent une partie de ces nouveaux citadins à fuir cet environnement dégradé pour tenter cette fois leur chance à l’étranger. Une nouvelle fuite, pour le moins aléatoire, compte tenu de la multiplication des contrôles aux frontières, mais qui, là encore, a lieu vers un territoire urbain, seul susceptible de répondre à leurs aspirations à un autre niveau de vie. De fait, les Haïtiens fournissent le troisième plus gros contingent d’immigrants aux États‑Unis. N’était‑ce pas l’objectif de la politique américaine, dont on connaît le poids au sein des instances monétaires internationales ?

Depuis la chute du mur de Berlin et la concurrence montante des pays de l’Est sur les marchés internationaux, les Américains sont à la recherche de nouveaux débouchés pour leurs produits agricoles. Au début des années quatre‑vingt, les Européens avaient soutenu les programmes de récolte de riz dans l’Artibonite, au nord du pays. Une initiative qui a tourné court puisque le riz haïtien parvenait à Port‑au‑Prince à un prix supérieur au riz américain. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, qui montrent, sur ce point, les effets pervers de la stratégie américaine.

Autre constatation, les Etats‑Unis insistent depuis des années auprès des Haïtiens pour la mise en oeuvre d’un programme de privatisation de l’économie. Les grandes familles haïtiennes, sur lesquelles Washington exerce d’habiles pressions, et les multinationales américaines pourraient contrôler plusieurs gros secteurs de l’économie haïtienne, qui, compte tenu du faible coût de la main‑d’oeuvre, devraient se révéler rapidement rentables. Le journaliste James Ridgeway va jusqu’à dire que « l’exportation politique et économique américaine a contribué à la destruction de l’histoire de la société civile de la république haïtienne », rappelant que « cet expansionnisme économique » s’inscrit dans une continuité, « les Américains intervenant depuis plus d’un siècle dans les affaires haïtiennes. Rarement au bénéfice des Haïtiens  », ajoute Ridgeway.

Quelle réconciliation nationale ?

Une société ne sort pas indemne d’un système à parti unique, tels les ex‑pays de l’Est, et même si les maux et les histoires sont différents. Quelle issue pour le pays ?

La solution ne viendra pas d’un homme providentiel. Après l’expérience Titid, les Haïtiens le savent. Sans doute faut‑il compter sur une lente et laborieuse prise de conscience des Haïtiens, une progressive émergence de la société civile. D’inévitables remises en cause des alliances traditionnelles, et notamment des préjugés racistes, et une véritable réconciliation nationale, ce qui suppose, au préalable, l’arrêt d’une guerre de tranchées d’un autre age entre les principales forces politiques du pays. Tout dépend de l’émergence d’hommes suffisamment crédibles et persévérants pour faire passer le message auprès d’une population qui ne croit plus beaucoup en sa classe politique. Introuvable hier, la stabilité politique est‑elle concevable demain?

Il faudrait pour cela qu’émerge une personnalité acceptable aux yeux des Américains, probablement un modéré de gauche ou de droite, peu suspect de vouloir faire une énième révolution ou de prendre le pouvoir pour régner en maître absolu. Cela signifie‑t‑il que seul le « candidat » de Washington sera l’heureux élu ? Pas si simple. À travers ces deux derniers siècles d’histoire, le peuple haïtien ne cesse de montrer son hostilité à toute domination étrangère, fût‑elle la marque d’une emprise plus subtile. Reste que, tragiquement, les Haïtiens paient très cher leur permanente velléité d’indépendance.

Les forces en présence

Si la dynamique du « torrent » Lavalas s’est incontestablement essoufflée, ce mouvement reste pour l’instant le seul à démontrer sa capacité à mobiliser les masses populaires. Mais il ne suffit pas d’être en phase avec les aspirations du peuple pour gouverner.

Aristide, homme de coeur dont personne ne peut contester la générosité, a montré ses limites politiques. Il est sans doute regrettable que Lavalas se soit focalisé sur ce personnage médiatique et attachant certes, mais empreint de naïveté politique. Aristide n’a‑t‑il pas aussi dû céder au diktat américain pour retrouver son fauteuil de président? La crédibilité du « prophète » souffre de son alliance contre nature avec le libéralisme à l’américaine. Le mouvement Lavalas doit se repositionner s’il veut se maintenir au pouvoir. La logique voudrait effectivement que le peuple opte à nouveau pour la gauche, qui n’a pas eu le temps d’aller au bout de sa politique.

Les anciens duvaliéristes, de leur côté, n’ont sans doute pas renoncé. Un camp qui cherche un leader, mais aussi, et surtout, une ligne politique. Quelle crédibilité accorder à ceux qui, pendant trente ans, ont échoué sur tous les plans ? Comment croire que ceux qui toujours ont divisé pour régner, sauront rassembler la population autour d’un projet fédérateur ? Pourtant il n’est pas utopique de penser que les duvaliéristes constituent, dix ans après le départ de Baby Doc, une réelle force dans un pays où l’on ne pouvait exister politiquement hors du duvaliérisme. Le seul combat politique possible se faisait pour ou contre cette force, ce qui explique d’ailleurs les luttes intestines qui rongeaient le système, et en faisaient un véritable repaire d’opposants intimes. Il n’est donc pas impossible que, parmi tous ces hommes, il s’en trouve quelques‑uns pour incarner demain une autre politique. Il est irréaliste de vouloir les écarter du jeu, au risque de persister demain dans des pratiques condamnées hier. Y a‑t‑il une fatalité de l’histoire haïtienne ? Le peuple haïtien peut difficilement connaître pire scénario que ce qu’il a déjà subi. La vigilance de ce peuple qui se définit comme « analphabète mais pas bête » n’est pas à négliger. L’ancien président des États‑Unis, Abraham Lincoln, prévenait judicieusement en 185 8 : « You can fool some of the people all the time and all the people some of the time, but you cannotfool all the people all the time. » ‑ « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

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