PREMIERE PARTIE
DE PAPA DOC à BABY DOC
Chapitre 1
UN REGNE SANS PARTAGE
L’héritage de l’esclavage
Port au Prince, 3 juillet 1951. François Duvalier, médecin de campagne, est aux anges. Son épouse, Simone, vient de mettre au monde un fils, Jean Claude. «Il sera médecin, comme son père», décide aussitôt François Duvalier, fils d’un juge de paix, né quarante quatre ans plus tôt dans la capitale haïtienne. Témoin, heure par heure, des exactions de l’occupation américaine qui, de 1915 à 1934, marquèrent à jamais le pays, ses jeunes années coïncident avec l’un des moments cruciaux de l’histoire d’Haïti.
L’ethnologie est la passion de cet homme. Vaudouisant, il n’hésite jamais à prendre la défense de son peuple et de ses racines. Il croit même utile de « donner une base rationnelle au vaudou, comme on l’a fait pour d’autres religions ». Il n’oublie pas non plus de défendre les « vraies valeurs », chères aux Haïtiens. L’héritage de l’esclavage, très présent dans la culture haïtienne, est profondément ancré dans sa conscience.
Instauré à Hispaniola nom donné à l’île par Christophe Colomb lors de sa découverte en 1492 dès le début des années 1500, l’esclavage fait son apparition avec l’arrivée d’une main d’oeuvre africaine venue remplacer les Indiens Arawaks, population aborigène, exterminés par l’envahisseur.
Ces nouveaux esclaves vont jouer un bien mauvais tour à l’homme blanc. Ils sont sous la protection des dieux vaudou et n’ont pas oublié d’emmener avec eux les « hougans », prêtres de la religion vaudou, et leur célèbre drapeau rouge et noir. La revanche des « esprits » ne tarde pas à se produire.
La première grande révolte a lieu le 14 août 1791. Elle fait suite à une réunion clandestine tenue par des contremaîtres noirs à Bois Caïman, au nord du pays, près de Cap Haïtien, alors la capitale des Français. Un nègre géant nommé Boukman, dont la réputation de hougan est reconnue dans tout le pays, préside cette assemblée nocturne à laquelle une tempête tropicale prête une coloration mystique.
Boukman et ses partisans font le serment de « vivre libres ou de mourir ». La cérémonie s’accompagne du sacrifice d’un porc qu’on égorge au pied d’un arbre. L’appel à la révolte est lancé. Les anciens esclaves se déchaînent. Mais après plusieurs mois de lutte, Boukrnan trouve la mort. De nouveaux leaders surgissent. Le plus remarquable d’entre eux est, incontestablement, Toussaint Louverture.
Ce centaure de la savane a l’étoffe d’un chef d’État. Il rêve de libérer Haïti tout en gardant des attaches avec la France. Ainsi le sucre et le rhum, produits par l’île, pourraient trouver un débouché assuré. De ce rêve, il s’efforce de faire une réalité. Mais Rigaud, un mulâtre se soulève contre Toussaint. C’est le premier épisode de l’antagonisme entre Noirs et mulâtres. Napoléon, à Paris, n’entend pas rester un simple observateur. Leclerc débarque à Cap Haïtien en 1802. Manipulant Rigaud et Pétion, il arrive à enlever et déporter en France Toussaint Louverture. Celui ci meurt au fort de Joux, dans le Jura. Mais les esclaves ne songent pas à se rendre. Ils redoublent leurs attaques, sous le commandement de Dessalines. Le Ier janvier 1804, le corps expéditionnaire français fuit devant l’armée des « va nu pieds ». L’indépendance est proclamée. L’ancienne colonie est baptisée Haïti, terme emprunté à la langue des Indiens Arawaks, qui signifie « terre haute et sauvage » .
Duvalier a des atouts pour réussir en politique. D’abord, il est de race noire. Ensuite, son diplôme de médecin lui confère un prestige auquel s’ajoute un autre titre de popularité, sa connaissance parfaite du vaudou. Il entre donc en politique en copiant le programme de Dumarsais Estimé, le réformateur social issu du terroir et fondateur du mouvement « noiriste ». Renversé par Magloire et les militaires le 10 mai 1950, Estimé a donné le virus du combat politique au docteur François Duvalier.
Révolté et n’acceptant pas ce coup d’État, Duvalier prend le maquis. Il ne sort de la clandestinité qu’au mois d’août 1956 pour se lancer dans la campagne électorale, avec l’espoir de remporter les présidentielles. « Ce bizarre petit homme à la peau noire fait penser à un hibou », se souvient Bernard Diederich. Il fait campagne sur les thèmes chers à Estimé, « revus, corrigés, et augmentés », en s’appuyant sur la classe des propriétaires terriens et sur les cadres de l’administration estimiste. Ce qui lui assure une force réelle, présente sur l’ensemble du territoire. Utilisant la propagande « coloriste », il parvient à mobiliser la petite bourgeoisie noire en quête d’ascension sociale. Face à lui, Louis Déjoie. Malgré ses liens étroits avec les Américains, il est l’un des rares entrepreneurs haïtiens à développer l’industrie locale. En apparence, le choix est simple. Les Haïtiens ont à choisir entre le Blanc et le Noir. La question se résume, effectivement, à cette dualité d’un simplisme désarmant. Les électeurs vont ils choisir un Noir autodidacte et idéaliste, ou un mulâtre bourgeois ? Autre facteur important, l’armée. De quel côté va t elle pencher? Simple: Duvalier. Dans l’esprit des militaires, c’est le genre de petit bonhomme inoffensif qu’on pourra manipuler facilement, ou renverser si nécessaire …
Le 22 septembre 1957, François Duvalier est élu président de la République. Pour la première fois de son histoire, Port-au Prince, où Déjoie l’emporte, s’est incliné devant la province où le docteur François Duvalier, que l’on surnomme déjà « Doc », arrive gagnant presque partout. Haïti vient de faire sa première expérience du suffrage universel et de choisir son président. Avec l’encouragement décisif de l’année.
De nombreux intellectuels haïtiens sont séduits par le personnage. Leslie Manigat se souvient de son choix de l’époque. « En 1957, j’ai voté François Duvalier. C’était évident. Le message de Duvalier correspondait à quelque chose de réel et de profond pour le pays »
Très vite, nous assistons à l’entrée en scène de Duvalier numéro deux. « Celui dont le petit médecin de campagne parle avec admiration, à la troisième personne », se souvient Bernard Diederich, témoin privilégié de cette époque’. Toujours vêtu de noir et le chapeau vissé sur la tête, Duvalier entend prendre le pouvoir en main dès le lendemain de son élection. Lorsqu’on lui pose une question, il se met à débiter une interminable déclaration « mystique ». Dès le début de son mandat, il se révèle être un administrateur brouillon et inexpérimenté. L’opposition exploite ses faiblesses. Et elle envisage de rapidement s’en débarrasser. En vine, les paris sont ouverts pour savoir combien de jours ou de mois Duvalier va tenir. Dans les campagnes, on fait confiance à son « Doc ».
Trujillo, président de la république Dominicaine, envoie une délégation à Port au Prince pour décorer le général Thompson Kébreau. Un geste destiné à narguer Duvalier. Toujours méfiant à l’égard du nouveau président en raison de ses attaches avec Estimé, « l’ennemi » de son peuple, le dictateur dominicain veut ainsi s’assurer d’un allié en la personne de Kébreau. Trujillo voit en lui l’homme fort dont il aura peut être un jour besoin. De leur côté, les Américains attendent avant de se prononcer sur Duvalier.
Duvalier n’attendra pas pour répondre. « Un jour, le 12 mars 1958, le général Kébreau roule sur la route de Pétionville. Soudain il entend tirer une salve de treize coups de canon. Il s’informe et apprend rapidement qu’on salue la nomination d’un ancien adjoint d’Estimé, le colonel Maurice Flambert, au grade de commandant en chef de l’armée d’Haïti. IR est destitué. Kébreau donne l’ordre à son chauffeur de foncer vers le sanctuaire de l’ambassade dominicaine. Il y reste à l’abri quelque temps. Jusqu’à ce qu’un jour Duvalier lui confie l’ambassade de Rome’. » Il devient le représentant haïtien auprès du Saint Siège. L’homme n’a pourtant rien d’un enfant de chœur ! La république Dominicaine commence alors une violente campagne de propagande dirigée contre Duvalier.
La menace d’un conflit pèse. La situation économique est critique. Des prétextes que Duvalier utilise pour transformer la terreur en système de gouvernement. Reste une inconnue : comment va réagir l’armée ? François Duvalier prend les devants. Pour asseoir définitivement son pouvoir, il choisit d’affronter l’armée, trop étroitement liée aux Américains, avant qu’elle ne s’en prenne à lui. Il crée alors le fameux corps spécial de « volontaires de la sécurité nationale », dits tontons macoutes. Une milice qui a pour objectif de briser le monopole de l’armée et d’assurer le maintien de l’ordre. Elle n’a pas fini de faire parler d’elle…
Costume bleu du paysan, et armé d’une machette lorsqu’il se rend à la campagne, le macoute parade en costume de ville avec chapeau, fusil et lunettes noires dans les rues de Port au Prince. Ces miliciens élaborent progressivement un système répressif singulier. La terreur s’installe en Haïti. Le jeune médecin à la voix douce et timide se transforme en tyran. Les dégâts sont impressionnants pour la société haïtienne. L’intelligentsia est décimée, les élites contraintes à l’exil Les masques tombent.
Pour financer ces miliciens, Papa Doc, comme le surnomment alors les macoutes, eux mêmes appelés « sans maman », a besoin d’argent. L’heure est au chantage à l’aide américaine. Cuba vient de basculer dans l’ère Castro et les Américains connaissent quelques problèmes à Saint Domingue, où le dictateur Trujillo devient embarrassant. Leur analyse géopolitique les conduit donc à observer une certaine bienveillance à l’égard de Duvalier. Ils font même quelques efforts de compréhension auprès du sanguinaire président, même si les relations demeurent très compliquées. Cette tension atteint son paroxysme quelques années plus tard, lorsque l’ambassadeur des États Unis est expulsé du pays. Le message est limpide. Ce ne sont pas les Américains qui dicteront aux Haïtiens la marche à suivre.
Les années terribles..
Saint Domingue, 30 mai 1961. Un règne de trente ans se termine ce jour là. C’est en allant à un rendez vous qu’il a fixé à une nouvelle conquête, explique Bernard Diederich dans son livre consacré à cet événement, que le dictateur dominicain, Rafael Trujillo rencontre son destin. Une giclée de balles transforme le véhicule en passoire. Le président dominicain s’effondre. Il meurt sur le coup.
Port au Prince, le lendemain. Au palais national, en apprenant la nouvelle, François Duvalier est épouvanté. Son « collègue » et néanmoins ennemi a été assassiné par des proches, des partisans apparemment fidèles. Mais Papa Doc en est déjà persuadé : les Américains ne sont pas étrangers à l’événement.
Duvalier commence à voir des complots partout. C’est à cette époque que son entourage se modifie. On assiste à la montée d’une nouvelle équipe. À sa tête, Luckner Cambronne qui prend la place de Barbot a la droite du « père de la nouvelle nation ». Il devient une figure emblématique du régime. Washington s’impatiente. Les élections promises tardent à venir. Le mandat présidentiel expire le 15 mai 1963. D’après la Constitution.
Juan Bosch, le nouveau président de la république Dominicaine, ne porte pas Duvalier dans son coeur. Papa Doc est de plus en plus seul, quand le vendredi 26 avril 1963, à 7 h 35 du matin, on tente de kidnapper ses enfants. Jean-Claude douze ans et Simone seize ans en sont quittes pour une grande peur, et sans doute des cauchemars pour quelque temps. En revanche, le chauffeur présidentiel et deux gardes du corps sont tués. C’est l’ex bras droit du président, Clément Barbot, qui a frappé. Duvalier l’ignore. Il ne le comprendra que plusieurs jours plus tard.
Entre temps, ce président impulsif réagit avec toute la violence qui le caractérise. Son mot d’ordre dépasse l’entendement. Il s’agit de « tuer d’abord », de « vérifier ensuite ». Une folie qui donne lieu à des massacres sans précédent. Que de victimes par erreur! Parce que les gardes du corps ont été touchés avec une extraordinaire précision, le dictateur pense que le coup émane du lieutenant François Benoît L’officier revient d’un stage à l’école de guerre organisé par les Américains dans la zone du canal de Panama, où il s’est formé à la lutte antiguérilla. Il a eu le malheur de montrer ses talents lors des championnats de tir. Le coupable est clairement désigné. Il parvient à s’enfuir et à sauver sa peau. Mais, persuadé que Benoît est mêlé à l’attentat, Duvalier donne l’ordre de commencer les représailles, et ne fait pas dans la demi mesure. Tous les membres de la famille, les amis et domestiques du lieutenant sont assassinés. La maison est ensuite incendiée. Benoït, innocent, se réfugie à l’ambassade dominicaine. Dans le même temps, Barbot, qui a peur que Duvalier ne le soupçonne, prend le maquis. Une longue lutte commence. De nombreux messages de protestation viennent de l’étranger. François Duvalier répond dans un discours adressé à la population.
« Ceux qui ont tiré sur mes enfants ont aussi tiré sur moi. Ils savent que les balles et les mitraillettes capables d’effrayer Duvalier n’existent pas. Ils savent qu’ils ne peuvent m’atteindre, car Duvalier est d’une fermeté inébranlable. Je vous adjure, Haïtiens, d’élever votre âme jusqu’aux hauteurs où planent les esprits ancestraux et de prouver que vous êtes des hommes… Mettez un peu de moelle dans vos os et laissez couler le sang de Dessalines dans vos veines… Je n’accepte d’ordres ou de diktats de personne, qui que ce soit. À l’époque où j’étais un médecin fraîchement diplômé, je n’en ai accepté ni reçu de quiconque, même pas de mon propre père. En qualité de président de la république d’Haïti, je suis ici aujourd’hui pour maintenir la tradition instaurée par Dessalines et par Toussaint Louverture. Je suis déjà un etre immatériel. Aucun étranger ne va me dire ce que j’ai à faire. »
Président a vie
Quelques semaines plus tard, Duvalier s’autoproclame « président à vie ». Il tourne la page. C’en est fini une bonne fois pour toutes du processus électoral. Les puissances étrangères n’ont plus à demander de comptes au dictateur. La situation a le mérite d’être claire.
Cependant, des guérilleros relèvent le défi. Une poignée d’émigrés en république Dominicaine déclenchent des opérations de guérilla. Puis, les choses prennent une tournure plus sérieuse. Des tentatives de débarquement se succèdent. Toutes échouent. L’une d’entre elles, en août 1964, pose d’énormes problèmes aux militaires. Elle est menée par un certain Villedrouin, qui veut débarquer près de Jérémie, à l’extrême sud ouest de l’île, pour s’emparer de la ville. La tentative échoue. La réponse de Duvalier sera foudroyante.
« Tuez les familles des rebelles. » L’ordre parvient à la milice à Jérémie. Hommes, femmes et enfants sont torturés et exécutés, leurs cayes (maisons en créole) pillées et brûlées.
De l’ambassade d’Haïti au Mexique, parvient une dépêche: un certain Sansaricq, étudiant dans la capitale mexicaine, participe à l’expédition. Papa Doc, sans enquêter sur l’exactitude de l’information, accuse faussement la famille Sansaricq d’avoir un fils parmi les rebelles. Jérémie, la ville natale d’Alexandre Dumas père et du fameux naturaliste Audubon, est le théâtre d’horribles représailles.
Le massacre des « vêpres de Jérémie » s’achève dans l’horreur. Toute la famille est exécutée. Les enfants sont poignardés dans les bras de leur mère, les adultes fusillés en dernier.
« Pour s’offrir un petit plaisir supplémentaire, les tontons macoutes prennent l’habitude d’abattre d’abord les femmes et les enfants… ` », mais dans le cas de la famille Sansaricq, ils poussent l’horreur à l’extrême, torturant avant d’égorger. Personne n’échappe au carnage. Ni une vieille femme paralysée, ni un enfant de deux ans. De retour à leur baraquement, les miliciens découvrent un télégramme imprévu. « N’exécutez pas la famille Sansaricq. Stop. Président Duvalier. » Le chef de l’État venait de recevoir la preuve que cette famille, mi mulâtre, mi noire, n’était en rien responsable de la rébellion.
De Papa Doc à Baby Doc …
À la recherche d’une nouvelle image plus présentable, François Duvalier change de cap. Il est vrai qu’à l’étranger l’image du pays n’est pas brillante. Graham Greene publie son célèbre roman Les Comédiens. L’opinion internationale découvre un régime sanguinaire, effroyable. Duvalier, fou de rage, s’emporte contre l’écrivain britannique. Mais il se rend compte qu’il devient urgent de mettre un bémol aux actions musclées envers l’opposition. Il doit faire des concessions pour tenter d’améliorer l’image de son régime.
Il se déclare disposé à rétablir des relations normales avec la république Dominicaine. Par ailleurs, il demande au chef de l’État américain, le président Johnson, de revenir sur sa décision et d’apporter non seulement une aide à Haïti, mais aussi son soutien à son régime. Duvalier « libéralise » aussi, un peu, la presse. Il accepte d’accueillir sur le sol haïtien un correspondant de presse français . L’homme a de bonnes garanties. IR est présenté par Maillé de Trévange, responsable du SDECE, les services secrets français dans la région. Ce nouveau journaliste, aux multiples « casquettes », a tout pour plaire à Papa Doc. L’homme est un ancien légionnaire.
S’il cherche à soigner son image dans la presse étrangère, Papa Doc mise aussi sur le tourisme pour essayer de sortir de la crise. La situation économique du pays est des plus critiques. Il en oublie son « catéchisme de la révolution », une brochure imprimée par les soins du gouvernement, où le culte de la personnalité atteint des sommets. Morceau choisi, le « Notre père » version Papa Doc : « Notre Doc qui êtes au palais à vie, béni soit votre nom par les générations présentes et futures. Que votre volonté soit faite à Port au Prince comme en province. Donnez nous ce jour un pays neuf et ne pardonnez jamais les offenses des ennemis de la patrie qui crachent chaque jour à la face de notre pays. Laissez les succomber à la tentation et, sous le poids de leur venin, ne les délivrez pas du mal… ` » Édifiant.
Soupçonneux comme toujours, Duvalier garde les yeux fixés sur ses possibles adversaires. En fait, à la fin de son règne, il peut dormir sur ses deux oreilles. Ses ennemis ont été soit liquidés, soit forcés à s’exiler. C’est dans ce contexte que l’ère de Papa Doc s’achève.
Malade, le chef d’État prépare sa succession. La Constitution de 1964 n’évoque pas cette éventualité. Papa Doc se croyait « immortel ». Il commence par procéder à la restructuration du haut commandement de l’armée haïtienne. Le colonel Claude Raymond est promu général de brigade.
Apparenté au président, dont il est d’ailleurs le filleul, il prend ainsi le commandement des forces années. C’est désormais de cet homme sournois que dépend la carrière de Jean Claude Duvalier, successeur désigné à vie de son père. Mais ce n’est que lors d’un discours, prononcé le 2 janvier 197 1, que Duvalier père révèle qu’il entend faire de son fils, Jean Claude, son héritier. Le plus proche collaborateur du président, Luckner Cambronne, le confirme quelques jours plus tard. Il propose un projet d’amendement constitutionnel pour valider la succession. À ce propos, il fait ce commentaire : « Ce choix est judicieux, si l’on considère les suprêmes qualités de coeur et d’esprit que possède un fils qui a vécu dans l’entourage immédiat de son illustre père, quatorze années durant lesquelles il a partagé, avec le chef de l’État, les épreuves et les victoires de la révolution…»
Jean Claude Duvalier est donc désigné d’office pour succéder à son père à la magistrature suprême.
Une dépêche annonce, le 22 avril 1971, la mort du président François Duvalier. Un accident cérébro vasculaire a eu raison du dictateur. Les loas ou esprits vaudou n’ont pas pu sauver le Doc. Duvalier est mort, vive Duvalier. Duvalier succède à Duvalier.
A l’occasion de la consécration du nouveau chef de l’État, Mgr Wolf Ligondé, l’archevêque de Port au Prince exprime l’enthousiasme de la haute hiérarchie ecclésiastique. Son sermon est révélateur de la complaisance de l’Église à l’égard du régime, de sa volonté de composer avec lui pour préserver ses intérêts. « Vous savez que votre autorité est une participation à l’autorité divine… Chef d’État, vous n’êtes pas un simple délégué de la communauté, Excellence, mais son guide, à la poursuite de ses fins les plus hautes. Vous avez compris que Dieu est le maître suprême et que le chef, appelé à conduire le peuple, accomplit, en définitive, l’oeuvre de Dieu… » Étrange. Mais qui incarne Dieu dans ce pays ? Mme Simone Duvalier a déjà préparé la liste des membres du premier cabinet de son fils. Clinton Knox, l’ambassadeur américain, se propose d’aider le gouvernement. « Aux funérailles, le 24 avril, Knox porte au revers de son veston un bouton à l’effigie de Duvalier et de Jean Claude », se rappelle Diederich. Ce signe semble bien confirmer la sympathie du diplomate envers la famille endeuillée. À peine la bière de Papa Doc quitte t elle le palais, qu’une bourrasque soulève une gigantesque colonne de poussière. Un mouvement de panique perturbe l’enterrement. La foule se met à courir dans le plus grand désordre. C’est l’esprit de Papa Doc, dit on, qui se manifeste. En Haïti, où le culte des morts est très vivace, les esprits parlent. Les humbles Haïtiens y voient une signification surnaturelle. L’esprit de Duvalier retourne au palais national auprès de Jean Claude. Le tout jeune président est sous la protection des dieux vaudou.
par:
Laurent Lesage et Nicolas Jallot,